On imagine l’auteur, Philippe Blasband, agenouillé dans un grenier de famille (la sienne peut-être) ouvrant des malles et découvrant, au milieu de souvenirs épars, les témoignages qui vont suivre. D’emblée, l’avertissement confère à la fiction un aspect documentaire et cinématographique. « C’est un grand livre, recouvert d’une jaquette de cuir, dans un brun clair proche du jaune. La seule inscription est gravée en caractère Helvetica sur la tranche : Le livre des Rabinovitch. Aucune mention n’est faite de l’auteur ou de l’imprimeur. Le brochage, l’impression et la reliure ne sont pas exempts de petites erreurs. Les photographies qui précèdent chaque texte ont été reproduites correctement, mais sans luxe. Certaines, floues ou en partie détruites, souffrent du tramage. Les textes sont relativement courts, d’une vingtaine de pages au maximum. Chaque texte est écrit par un des membres de la famille Rabinovitch, mort ou vivant, à partir de Zalman et Léa Rabinovitch. » Autant de détails tangibles qui incitent le lecteur à suivre l’écrivain et qui finalement le renvoient, à mesure que le roman progresse, à sa propre généalogie.
De la déchéance puis du sacrifice de Zalman -un hassid devenu mécréant qui finalement sauvera sa famille du pogrom- à la naissance de son arrière-petit-fils Ali - conçu dans un hôpital psychiatrique- près de quarante ans plus tard, c’est toujours le « je » qui nous entraîne d’un chapitre à l’autre. Un « je » à la fois multiple et singulier qui emprunte un style différent à chaque nouveau chapitre, c’est-à-dire à chaque nouveau personnage. Original, ce procédé traduit dans un même mouvement tout ce qu’il peut y avoir de liens et de ruptures au sein d’une même famille. Et c’est en grande partie là que réside la force du quatrième roman de Philippe Blasband. Monteur de cinéma de formation, auteur de scénarios et de pièces de théâtre, l’écrivain dresse ici une véritable galerie de portraits.
Il y a Léa, la mère, dont l’existence ne se justifie que par l’enfantement. Elie, le premier fils dont la mûre clairvoyance permettra à la famille d’arriver saine et sauve en Belgique et qui la rassemblera une dernière fois autour de son lit de mort. Rifka, communiste et résistante, morte en déportation. Sarah, la trop belle, déçue d’Israël, des kibboutzim et des hommes. Arié le dernier, le plus choyé, irrémédiablement traumatisé par ses activités clandestines durant la guerre…Tour à tour chacun évoquera son histoire, son rapport aux autres et sa vision du judaïsme. Ce qui est un fardeau pour Arié est au contraire un repère indispensable pour sa fille Aline : « Ce n’est pas une foi, ce sont des gestes. Ces gestes m’ancrent dans un réel identitaire qui me rassure et m’enrichit ». Traversé par la mort comme l’est forcément l’histoire d’une famille -la vision d’Ernest transformé prématurément en vieillard par le sida n’est pas la moins terrible- le roman est aussi pétri d’humour, notamment quand les hommes évoquent leurs rapports amoureux. Pour conjurer l’ « implacable mécanique » qui fait qu’aucun Rabinovitch n’a jamais su garder sa femme, Max se choisira « la femme la moins idéale possible », Giselle Verbotten. En allemand, le mot signifie interdit…
Le Livre des Rabinovitch
Philippe Blasband
Le Castor Astral
206 pages, 98 FF
Domaine français Impressions de famille
janvier 1999 | Le Matricule des Anges n°25
| par
Maïa Bouteillet
A partir d’un album photos, l’histoire attachante d’une famille juive de Pologne, exilée à Bruxelles à la veille de la Deuxième Guerre mondiale.
Un livre
Impressions de famille
Par
Maïa Bouteillet
Le Matricule des Anges n°25
, janvier 1999.