1916. Alors qu’en Europe, les hommes rampent dans des tranchées, à New York, sous l’ East River, ils se meuvent aussi dans le froid et la boue pour construire les tunnels du métro. Un Irlandais, un Italien, un Noir américain, terrassiers, pionniers de cette souterraine nouvelle frontière sont victimes d’un accident digne des aventures du baron de Münchhausen ou d’une parabole biblique. Après une explosion dans le tunnel, ils sont avalés par la terre et régurgités au-dessus des eaux glacées du fleuve. Mais si sous terre, les hommes paraissent égaux, il n’en est rien à la surface. Et la vie terrible d’un Noir se transforme en chemin de croix lorsque ce dernier épouse une femme blanche qui lui donne des enfants.
1991. Treefrog, S.D.F, vit dans les entrailles de Manhattan au milieu d’autres déshérités. Il fuit une faute honteuse, se punit régulièrement et organise une vie aérienne souterraine, pendant obscur à la vie qu’il menait à l’air libre lorsqu’il construisait des gratte-ciel.
Peu à peu ces deux histoires se recoupent. Le tunnel dans lequel vit Treefrog a été construit par Nathan le Noir. Treefrog, n’est autre que le petit-fils métissé de Nathan qui finira sous les rails du métro. Treefrog en portera longtemps la culpabilité, mais l’amour instillé par le grand-père sera le plus fort et permettra au petit-fils d’accéder, d’abord à la rédemption, puis à la résurrection.
Colum Mac Cann a l’âge du Christ sur la croix. Né à Dublin, il quitte à dix-sept ans l’Irlande pour sillonner la planète, essentiellement l’Amérique, du nord au sud. Ecrire est son but, de petits boulots en reportages, il observe le monde et s’y cogne. Après un recueil de nouvelles Fishing the Sloe-Black (1994) encore non traduit, Le Chant du coyote, son premier roman (1996) vient d’être réédité. Il raconte l’amour-haine d’un père et d’un fils, unis dans le souvenir de la mère d’origine mexicaine, qui a fui la dérive du couple et les brumes de l’Irlande. Encore une histoire de famille bouleversée par l’émigration et les désordres de ce siècle. Ce premier ouvrage surprend par sa fluidité, sa pudeur, sa justesse de ton et de style et bien sûr sa fraîcheur. Qualités absentes du second où l’auteur a privilégié un travail en profondeur sur l’architecture du roman. D’où une construction savante ; récits parallèles qui finissent par s’entrecouper, incessants allers et retours spatio-temporels qui engendrent hélas des pesanteurs (coupés-collés approximatifs, à moins qu’il ne s’agisse de laborieuses techniques d’ateliers d’écriture). McCann travaille les oppositions, les contrastes, génère des images oniriques, grandioses au sein de clairs-obscurs, très souvent sublimes, parfois trop grandiloquents. Le roman est fort documenté, Mac Cann a frotté son imaginaire au réel, n’a-t-il pas vécu quatre jours par semaine pendant un an auprès des déshérités ? Mais ses S.D.F. rutilent sous les fards. Accumulation d’images, de références bibliques, de bondieuseries flasques tirent ce roman plus vers du Cecil B De Mille que du Beckett ou du Mac Gahern. Décidemment « Nos résurrections ne sont plus ce qu’elles étaient. »
Les Saisons de la nuit
Colum Mc Cann
Traduit de l’irlandais
par Marie-Claude Peugeot
322 pages, 119 FF
Domaine étranger Besoin de miracles
janvier 1999 | Le Matricule des Anges n°25
| par
Dominique Aussenac
L’Irlandais Colum Mc Cann quête, sous la terre jusqu’au ciel, dignité, amour, rédemption. Avec lui, la piété est une station de métro.
Un livre
Besoin de miracles
Par
Dominique Aussenac
Le Matricule des Anges n°25
, janvier 1999.