Chaleureuses, gentiment chamailleuses, les quatre sœurs du dernier roman d’Anne Fine ont quelque chose des filles du docteur March. Elles vivent unies comme les doigts de la main et leurs journées s’étirent lentement, dans l’odeur d’encaustique, en de longues et quotidiennes conversations téléphoniques. Quand Liddy, la cadette, annonce son intention de se marier, une rumeur parvient jusqu’à ses sœurs : leur futur beau-frère est soupçonné de pédophilie. La famille se défausse lâchement de la situation sur Bridie, la narratrice, qui est assistante sociale.
Si le roman flirte avec l’actualité, il ne s’agit pas de dénoncer ici la fureur du bruit qui court et fracasse sur son passage l’existence de sa victime. Pour Anne Fine, la rumeur n’est qu’un prétexte, peut-être un peu forcé : en imposant un choix aux sœurs -parler ou se taire- elle doit être le révélateur des dissonances familiales. A travers le regard de Bridie, elle passe au scanner le quatuor, éviscère leurs relations, inventorie les années d’hypocrisies, les renoncements et les non-dits auxquels il leur a fallu se cramponner pour conserver l’illusion de former une famille.
Les personnages d’Anne Fine -souvent sans nuance : stéréotypes de femme au foyer ou de femme d’affaires- chatouillent de vilaines plaies et s’interrogent : comment se défendre de la haine, comment briser le cercle du mensonge sans se perdre soi-même. Doux-amer et grinçant, insidieusement pessimiste, Une sale rumeur a le goût de certains bonbons anglais, légèrement acidulés et fortement poivrés. « So british ? » Oui, et sans véritable surprise. Quelque part entre arsenic et vieilles dentelles.
Une sale rumeur
Anne Fine
Traduit de l’anglais
par Dominique Kugler
L’Olivier
268 pages, 110 FF
Domaine étranger Famille, je vous hais
mai 1999 | Le Matricule des Anges n°26
| par
Anne Riera
Un livre
Famille, je vous hais
Par
Anne Riera
Le Matricule des Anges n°26
, mai 1999.