Première Sonnerie de trompette contre le monstrueux régiment des femmes
Il est des livres qui laissent pantois. Le plaisir de la lecture nous entraîne sans faillir jusqu’à l’ultime page et on reste comme deux ronds de flan, abasourdi de s’être laissé ainsi berné. On croyait lire juste une histoire et voilà qu’on se retrouve plongé au cœur de mille interrogations, avec le sentiment que quelque chose s’est passé sans qu’on puisse savoir quoi. Les deux nouveaux romans de l’Écossais Eric McCormack font partie de ces livres-là.
Première Sonnerie de trompette contre le monstrueux régiment des femmes (quel titre !) nous narre la vie d’Andrew Halfnight (les noms propres ont un sens). Sa naissance, déjà, est bien étrange puisqu’il faut à la sage-femme pas mal de poigne pour séparer les jumeaux (un frère et une sœur) : Andrew en gardera une tâche sombre sur la poitrine. Le jour du baptême, les femmes de la famille semblent se lier pour empêcher le père de prendre les enfants dans ses bras. Étrange ostracisme qui trouve son explication un peu plus loin : cédant à la demande publique du père, la mère d’Andrew confie un instant la petite fille à son géniteur. Un geste maladroit et le père d’un coup écrase contre lui la gamine qui meurt. Nous n’en sommes qu’au tout début mais déjà McCormack se joue de nous : il diffère la révélation de toutes les raisons de l’accident. Andrew perd donc sa sœur, son père très vite ira la rejoindre et la mère avare en gestes affectueux mourra plus tard. Orphelin et déjà marqué par le destin, l’enfant part sur une île volcanique où les pierres apparentes des maisons ne sont que des tapisseries en trompe-l’œil.
On pourrait découper chaque scène de se roman, l’isoler et l’étudier longuement comme on le ferait d’une cellule biologique. On verrait apparaître nombre de références aux romans fantastiques (Maupassant, au final) ou initiatiques (Stevenson). On observerait également quelques éléments récurrents, comme la monstruosité des corps, leurs mutilations auxquelles font écho celles de la nature (raz de marée, tempête et affaissement du sol). Mais le roman atteint d’autres latitudes lorsque, après avoir montré un monde extérieur hostile au narrateur, McCormack introduit le doute sur la santé mentale de celui-là même qui nous parle. Après nous avoir fait croire l’incroyable, il nous en fait douter.
Mysterium peut se lire dans la foulée : on y retrouve la même atmosphère et les mêmes obsessions. Ici, le héros est un jeune journaliste appelé à recueillir les confessions de mourants dont la maladie se traduit par une frénésie de parler.
Les moribonds en question sont les seuls survivants d’un village décimé par un poison. Dans cette petite cité minière d’Écosse, l’arrivée d’un ingénieur des eaux s’accompagne de dépravations étranges (monument aux morts mutilé, cimetière profané, bibliothèque saccagée). Puis, ce sont les lapins qui meurent un à un. Puis les enfants. Les hommes et les femmes, enfin. La police, l’armée sont réquisitionnées. Le village est mis en quarantaine. L’enquête révèle que cette catastrophe est peut-être liée au passé, à la mort probablement criminelle de prisonniers de guerre enfouis sous la mine. À l’allure christique d’un de ces prisonniers. Le roman, à nouveau, multiplie les fausses pistes et l’on ignore où le romancier cherche à nous conduire. Seule certitude : il faut relire le livre. Et cela sonne encore comme un rendez-vous avec le plaisir.
Eric McCormack
Première Sonnerie de
trompette contre le monstrueux
régiment des femmes
Traduit de l’anglais
par Sabine Porte
et Mysterium
Traduit de l’anglais
par Jean-Paul Partensky
Christian Bourgois éditeur
337 et 305 pages, 140 FF chacun