Le bibliothécaire, le documentaliste, le lecteur rencontrent parfois quelques difficultés à classer un livre dans un genre bien précis. Certains ouvrages, en effet, revendiqueraient aussi bien la poésie que la prose, la nouvelle que le récit. Pour ce qui est du troisième ouvrage écrit par Perrine Rouillon, le problème ne se pose plus : désormais, en effet, on aura intérêt à créer le genre « Petite Personne » que l’on chargera d’accueillir l’ensemble de la production (trois titres à ce jour) de cette dessinatrice, de cette poétesse.
Le Diable, l’amoureux, la photocopine nous présente, comme le ferait un recueil de nouvelles, quelques aventures de La Petite Personne, forme filandreuse dessinée où l’on reconnaît une tête, des bras et des jambes, mais où on voit bien plus de choses. Aventure est un bien grand mot, car cette figurine d’encre ne quitte guère la page blanche, et sait se tenir souvent immobile.
La Petite Personne dialogue avec sa créatrice (et donc aussi un peu avec nous) dans une écriture manuscrite, il lui est répondu en caractères d’imprimerie. Ce va-et-vient accompagné d’une gestion très précise des espaces blancs, des rythmes, du silence confère à ces histoires une dimension poétique très forte. Il y a là un passage, entre rationnel et rêverie, réalisme et idéologie, réalité et désir ; dans une schizophrénie ludique. À cela s’ajoute ici le contenu même des dialogues qui tournent le dos à l’anecdote, à l’historiette pour aborder au philosophique.
Ainsi Le Pari, deuxième histoire du recueil, débute par le souhait de l’auteur de voir La Petite Personne chanter ses louanges parce que, dit-elle, « c’est moi qui t’ai créée » Seulement voilà : La Petite Personne n’est pas croyante et va se livrer alors à démontrer l’inexistence de sa créatrice ou la nécessité d’en nier l’existence. Il est difficile de rendre compte ainsi de cet univers que rythment les apparitions sur la page blanche de La Petite Personne, ses petites mimiques, ses hésitations et ses silences. Alter ego intime de l’auteur et du lecteur, La Petite Personne avec sa charge de poésie, de tendresse, d’enfance, ouvre en notre intime de nouvelles perspectives sur l’existence.
La dernière scène est à la fois cruelle et magnifiquement drôle : la mort avec sa faux vient accomplir son travail sur La Petite Personne. Celle-ci avant de se sauver, appelle son auteur à la rescousse : « C’est pour toi ». Restent alors sur la page la faucheuse et le silence de Perrine Rouillon.
Le Diable, l’amoureux
et la photocopine
Perrine Rouillon
Seuil
non paginé, 59 FF
Poésie La petite schizo
janvier 2000 | Le Matricule des Anges n°29
| par
Thierry Guichard
Perrine Rouillon s’est inventé un alter ego de dessin : La Petite Personne. Précieuse compagne pour s’interroger sur l’existence.
Un livre
La petite schizo
Par
Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°29
, janvier 2000.