Comme Al Barnes, adjoint du shérif, mène l’enquête sur des crimes commis dans la commune de Plains (Montana), il doit entendre de nombreux témoins ; et lorsqu’il dresse le portrait peu flatteur de l’un d’entre eux (une femme sur le retour corpulente, attifée de dentelles et de rose criard), il prend bien soin de mettre en garde le lecteur : « Attention ! Ne vous emportez pas contre moi ! Je ne demande pas que tout le monde, homme ou femme, soit beau. Un tas de gens laids sont fascinants, et un tas de gens beaux sont assommants. Mais Joyce Clueridge avait l’air de se croire belle »…
Nous voilà rassurés. Non, nous ne nous emporterons pas. Nous comprenons très bien, cher narrateur, que vous préfériez formuler de tels truismes plutôt que d’être soupçonné d’être un sale type qui jugerait les gens sur leur mine. Nous comprenons très bien que vous soyez un héros de roman policier comme on semble les aimer en ces temps de rectitude (voir ce qu’il est advenu de Matt Scuder, le privé fétiche de Lawrence Block). La quarantaine humaniste et lettrée, vous aimez tendrement votre compagne, et vous cédez parfois à des pulsions coupables : qui pour vous jeter la première pierre, à vous qu’on surnomme « Barnes la tendresse », flic et poète amateur ?
Nous comprenons enfin que votre créateur, Richard Hugo, fasse l’éloge de la pêche et des mœurs simples du Montana, et qu’au terme d’une enquête rondement menée, il nous mette en garde contre les riches (leurs perversions, leur égoïsme, leur racisme : leur manque d’humanité en somme).
Mais vous comprendrez aussi qu’en professant complaisamment pareil catéchisme, en donnant tant d’appels du pied gauche destinés à rassurer un lectorat de démocrates bon teint, vous donniez furieusement envie de relire les fulgurances réacs d’un Ellroy.
La Mort et la belle vie
Richard Hugo
Traduit de l’américain
par Michel Lederer
10/18
268 pages, 44 FF
Poches Tendres poulets
janvier 2000 | Le Matricule des Anges n°29
| par
Gilles Magniont
Un livre
Tendres poulets
Par
Gilles Magniont
Le Matricule des Anges n°29
, janvier 2000.