Soit le monde dans quoi on est jeté à la naissance, qu’on voudrait comprendre, embrasser, prendre, nommer. Dans quoi on voudrait se fondre, finir de commencer à exister, achever d’être.
Soit le corps avec lequel, pense-t-on, on va entrer dans le monde, se fondre et se mêler à lui. Le corps qui sépare soi à l’intérieur du reste à l’extérieur. Le corps sexué mis en scène dans Le Professeur (Al dante, cf. lmda N°28), roman pornographique et douloureux auquel aujourd’hui fait écho L’Âme.
Car on le sait, il arrive souvent à Christian Prigent de répondre par la poésie à ce qui n’a pu être dit dans la prose d’un précédent ouvrage et répondre par la prose à ce que fit la poésie. Dialogue permanent pour creuser le même trou : celui par lequel fuit le monde.
Soit, donc l’âme (« moi je suis/ l’informe la couleur je/ coule dans le sans bord ») qui est « notre distance au monde et le désir de la combler. »
Soit, enfin, la poésie ; celle de Prigent où la langue dérape, glisse, trébuche plus qu’elle ne joue. Une langue qui mise sur la vitesse, comme pour surprendre ce qu’elle dit et révéler les choses avant qu’elles ne se figent (comme dans le jeu « 1, 2, 3 soleil ») : « elle seins crasés moi je/ pense crins rasés les/ mots tournent le vide ». Y aurait-il un espoir de parvenir ainsi à être au monde : « l’âme tu commences fort dit-/ elle et moi : le corps j’ai vu/ que c’était foutu alors/ l’âme on ne sait jamais » ? On ne sait que trop l’échec inscrit au plein de la langue qui comme le corps sépare soi de ce qu’on dit. On lira ces poèmes dans leur burlesque qui mêle au tragique un comique inventif et ironique (« quatre heures dînette nous djinns standard/ en jean standing ») comme un cache-sexe (ou une braguette rabelaisienne) sur les bleus de l’âme. On les relira dans leur rythme accéléré, où les sonorités modifient le sens, lui font prendre des chemins inattendus et ouvrent en nous quelques voies vers des fantasmes informulés. L’âme est en effet un mot qui ouvre…
L’Âme
Christian Prigent
P.O.L
118 pages, 130 FF
Poésie Portrait de l’âme en femme
juillet 2000 | Le Matricule des Anges n°31
| par
Thierry Guichard
Un livre
Portrait de l’âme en femme
Par
Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°31
, juillet 2000.