À l’automne dernier, les éditions Encre marine fêtaient leurs dix ans en republiant le premier titre de leur catalogue : N. N. nacht und nebel, un témoignage concentrationnaire de Violette Maurice. L’ouvrage, titré Écrire, résister se prolongeait par la contribution de plus de vingt-cinq des auteurs de la maison. L’occasion de saluer une aventure singulière, celle d’un passionné de livres, professeur de philosophie au lycée : Jacques Neyme. Né en 1949 à Saint-Chamond, l’homme qui porte une maigre barbe poivre et sel a eu très jeune le coup de foudre pour le livre ; autant l’objet que ce qu’il contient. Avec alors, un goût prononcé pour les « auteurs sulfureux interdits quand on a quinze ans et qu’on est dans un établissement privé ». Sade, Bataille et surtout Genet viennent alimenter le feu d’une passion qui brûle encore. « Je découvre le plaisir de la littérature avec Genet, avec Miracle de la rose, Notre-Dame des fleurs, Le Condamné à mort. Je découvre en même temps, L’Arbalète, son éditeur. »
Si vous allez lui rendre visite, dans la montée du col de la République bordé de neige, près de Saint-Étienne, ne lui dites pas qu’il est originaire du pays qu’il habite : Saint-Chamond et La Versanne sont distants de plus de trente kilomètres. Pour se rendre de l’une à l’autre, l’homme sera passé par Saint-Étienne et Lyon où il aura effectué ses études, interrompues par deux ans d’usine comme tourneur à plein temps « pour des raisons idéologiques, personnelles, affectives. » Il reprendra les livres une fois transformé son emploi en un mi-temps nocturne. « La découverte du monde du travail c’est aussi la découverte qu’on risque de tout perdre et que je n’ai pas envie de perdre le livre… On faisait 55 heures. Le soir on ne peut plus lire, on ne peut plus s’intéresser à rien, on ne peut plus écrire. J’ai eu la chance d’échapper à ça et pouvoir rejoindre la philo que j’avais abandonnée. » S’il fait son mémoire sur Bataille, il lit également Nietzsche, les présocratiques et, plus tard, les mystiques comme Angelus Silesius. Il taquine un peu la poésie, ce qu’il se refuse à évoquer.
Il ne sait pas, lorsqu’il crée les éditions Encre marine que dix ans plus tard il aura une soixantaine de livres à son catalogue où la philosophie l’emporte sur la littérature, même s’il s’agit ici d’associer l’une à l’autre. La ferme aménagée qu’il habite lui met les Alpes à portée de regard, l’odeur de la basse-cour voisine à portée de nez et lui offre un âne comme voisin de champ. Paris et le monde sont au bout de l’ordinateur via Internet et sous le clavier de son téléphone portable que ses mains ne lâchent que pour allumer un cigare (genre barreau de chaise), une pipe, ou se verser une vieille prune artisanale. L’homme conjugue l’art de vivre au présent.
Jacques Neyme, comment est née la maison d’édition ?
C’est très simple, j’y songe depuis longtemps, je n’ai pas d’argent, j’ai vu qu’avec des logiciels on pouvait faire des choses qui ressemblaient...
Éditeur Éloge de la pensée et du plaisir de l’œil
Jacques Neyme dirige sa maison d’édition avec pour seuls critères économiques son enthousiasme et sa passion du livre. Avec Encre marine, de Maldiney à Cheng en passant par Solesmes, poésie et philosophie se font sensuelles.