Depuis dix ans, Jean-Pascal Dubost explore les moments ténus de la vie. C’est corbeau (Cheyne, 1998) racontait ingénument l’arrivée d’un bébé corbeau dans la vie d’un jeune couple. Ardoise (Wigwam, 2000) faisait entendre la vie d’un bistrot.
Aujourd’hui Les Loups vont où ? regroupe sept séries de poèmes resserrés autour d’un motif : maisons singulières, transports (de la brouette aux « grolles »), etc. Chaque poème est composé d’une seule longue phrase qui creuse dans la langue comme une pelleteuse mécanique le ferait dans la terre. Ce qu’elle ramène est d’abord une matière brute : images, récits, sons, odeurs, souvenirs d’enfance. Le temps de la lecture, nécessairement répétée du fait d’une syntaxe non linéaire, organise alors la matière mise au jour. Le lecteur participe ainsi à une fouille de sa propre mémoire aiguillonnée par d’anciens mots inusités, d’autres dont le sens véritable échappe et auxquels s’associent alors des sensations. C’est bien d’une remontée à la surface de la page à laquelle on assiste, dans l’accompagnement de la phrase racleuse.
Ce déchiffrage conduit à d’heureuses surprises où l’humour se fait complice par la cocasserie des images ou les jeux sur les mots. Un repas peut devenir une épopée ramassée en une phrase ; la description d’Irlandais au sortir d’un pub se transforme en véritable voyage. Mais cet humour ne convoque pas la légèreté : il est grave en cela qu’il transforme le quotidien pour l’arracher au banal, à l’oubli, à la mort.
On retrouve ce même travail lexical et cette approche du réel et de la mémoire dans Fondrie, émouvant fruit d’une résidence d’écrivain autour d’une ancienne fonderie d’art. S’appropriant les mots du métier (« patouillet« , »javelotte », etc.) le poète met ce lexique à jour. Ce faisant, il met au jour tout un monde : avec ses morts et ses mots, ses gestes oubliés, ses accents. Et l’on éprouve la joie enfantine de découvrir un trésor.
Jean-Pascal Dubost
Les Loups vont où ?
Obsidiane
Fondrie
Cheyne éditeur
107 et 71 pages, 13,20 et 13,50 €
Poésie Mises au jour
juin 2002 | Le Matricule des Anges n°39
| par
Thierry Guichard
Un livre
Mises au jour
Par
Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°39
, juin 2002.