Au moins Gérard Noiret sait-il observer la vie poétique (il chronique régulièrement dans La Quinzaine littéraire) et s’impliquer dedans de manière toute personnelle quand il s’agit d’écrire : son recueil aux éditions Obsidiane Pris dans les choses apporte une pierre de taille dans une œuvre parfois méconnue, déjà riche de six titres (parus chez Maurice Nadeau et Actes sud). Résidant à Argenteuil, Gérard Noiret s’est investi très tôt dans l’animation sociale. Ce fut son point de départ pour rencontrer de mille manières l’humanité. À l’abri de tout dogmatisme ou tendance, il regarde le monde, dans une confrontation entre le poids du quotidien et les aspirations de tout individu qui rapproche sa poésie d’une certaine tradition italienne, faite d’esquisses mélancoliques, de notations distantes et d’un amour pudique du « sujet ». Ce monde est présenté en des scènes subtiles, qui ne sont pas exemptes de crudité ou de cruauté : visages de pauvres, hommes ayant perdu tout don pour l’existence, errances multiples… Puis un poème, comme un leitmotiv, revient, sous différentes formes : Les amants : « À se tenir par les épaules,/ ils blessent les yeux des passants./ Mais à qui la faute s’ils déjouent les pronostics ? » C’est là toute la justesse de cette poésie : témoigner de l’existence humaine, de la plus basse à la plus enjouée, avec un bonheur d’expression qui nous rend amoureux du temps qui passe.
Pris dans les choses : ce titre exclut la distance. Ne révèle-t-il pas la nature politique de vos poèmes ? Votre propre activité sociale d’animateur ne les inspire-t-elle pas de manière déterminante ?
Pris dans les choses peut être compris de trois manières. La première met l’accent sur la dimension sociale, quotidienne de l’existence. La deuxième se souvient du Parti pris des choses, et dans ce cas, la dimension de l’écriture (avec les références et les dédicaces) devient prépondérante. Elle prend en compte le refus du poétisme et la vision matérialiste de Ponge dans le même temps où elle refuse ce qui, chez lui, se détourne du visage de l’homme en train de parler. La troisième, qui fait que j’ai sorti l’expression de son emploi philosophique en supprimant les tirets, tire l’ensemble vers un questionnement plus fondamental où l’ironie, les allusions à Camus, à l’anthropologie et à la cosmologie en sont plus des curiosités. Si j’ai réussi mon entreprise, cela doit fonctionner comme dans un tableau de Vasarely. Le plus infime changement d’angle vous amène dans une autre vision.
Votre poésie est-elle une tentative de saisie du réel dont le désir serait d’équilibrer émotion et méditation ?
J’écris chaque jour, sans souci artistique. Par plaisir, dans l’urgence, par désœuvrement… Tous les deux ou trois ans, allez savoir pourquoi, me vient la nécessité de relire mes carnets. Alors je souligne, j’extrais ce qui est porté, ce qui a surgi, ce qui est bonifié par une erreur. La lecture de mes relectures est déterminante. Comme je vis...
Entretiens Leçons des choses
mai 2003 | Le Matricule des Anges n°44
| par
Marc Blanchet
Poète discret, Gérard Noiret rassemble en un volume quinze années d’écriture. Une avancée entre foule et solitudes qui se décline en tableaux subtils et pudiques.
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