Dans l’exercice de style, l’embûche réside dans la lassitude que suscite une approche méthodique, souvent fastidieuse. La paranoïa, par essence, présente ce travers : ressassement et rabâchage ; et si se servir de cette maladie facilite le travail thématique, l’ennui menace d’autant le lecteur ; à moins de jouer également sur le terrain de l’humour. Du coup, la gageure est gagnée : le travers qu’Allain Glyckos se donne, prétexte à ce récit, reste l’un des ressorts les plus populaires de l’ironie : le manque d’hygiène.
La crise psychotique de l’auteur part d’une phrase : « Je ne me souviens pas l’avoir vu se laver » dite par sa sœur lors d’un repas de famille. Dès lors, le narrateur revisite sa vie, passé et quotidien, à travers ce prisme halluciné : l’opinion sororale ; ce qui nous réserve quelques savoureux moments sur les contraintes, les habitudes et l’évolution de la propreté, le tout ponctué par un surprenant humour de répétition qu’apporte l’évocation récurrente (sans jeu de mot) de la sœur fautive et de sa phrase malencontreuse.
Glyckos use de toutes les ficelles, jouant des mots autant que des conjonctures, les combinant en savants dosages au fil d’une montée en puissance de sa propre (si l’on peut dire) maladie mentale. Il crée, en passant, quelques concepts plaisants, tel celui du harcèlement hygiénique démontré tant par des situations personnelles que par une étude historique rigoureuse, appuyée sur L’Histoire des mœurs parue dans la Pléiade en 1990.
L’intérêt du texte tient autant à l’étude de la sapopénie (terme médical humoristique signifiant manque de savon, donc malpropreté), amusante, approfondie, savante (on cite d’Alembert) qu’à la véritable analyse d’une fixation paranoïaque, avec ses obsessions, ses élucubrations, son évolution, ses fausses rémissions et ses rebondissements.
Ce livre détend et, tel une des « harceleuses » à qui l’auteur fera parcourir son manuscrit, on rit ou au moins on sourit franchement. Ne serait-ce que pour cela, le lire est salutaire.
À proprement parler
Allain Glyckos
L’Escampette
110 pages, 13,60 €
Poésie Au propre et au figuré
juillet 2003 | Le Matricule des Anges n°45
| par
Philippe Castells
Un livre
Au propre et au figuré
Par
Philippe Castells
Le Matricule des Anges n°45
, juillet 2003.