L’œil est pétillant, ses lapsus déroutants, et son portable émet une sonnerie de volière gazouillante. Naturellement, le charme opère. « Le 6e arrondissement de Paris est très sympathique. Il y a beaucoup de boutiques », dit avec malice celle qui vient de quitter la place Clichy pour le quartier des éditeurs, après son rachat par Gallimard il y a six mois. Depuis 1998, au gré des circonstances, le fonds Joëlle Losfeld danse plutôt la valse. Il est passé des bras de Payot/Rivages à ceux de Mango, avant de rejoindre ceux de la prestigieuse enseigne. Avantages du nouveau soupirant : « Une plus grande facilité pour négocier avec les agents des auteurs, et je préfère que mon banquier ait une forte personnalité littéraire. » Joëlle Losfeld, aussi, a une forte personnalité. Elle a traversé des périodes de mauvais temps, tout en gardant le cap avec obstination. Et ajoute : « J’ai assez d’énergie pour tout recommencer si ça se passe mal avec Gallimard ».
Longtemps cataloguée éditrice d’Albert Cossery (délaissé, le roi d’Egypte lui « offre » ses livres en 1986) et de littérature anglo-saxonne, Joëlle Losfeld a su se diversifier et surtout consolider un catalogue où le fonds représente 35% du chiffre d’affaires et sa collection en semi-poche « Arcanes », créée fin 1999, près de 40%. Aujourd’hui, elle publie Dominique Mainard (« Elle est venue ici faire un stage en 94, elle voulait devenir assistante d’édition… », Richard Morgiève, Annie Saumont, Emmanuel Adely, Michel Quint… Ce qui la retient : le désir de durer. Comment ? La formule paraît magique : stabilité, visibilité, fidélité. « Je ne passe pas mon temps à lire et à déléguer. J’ai plutôt un rapport sensuel au livre, j’aime bien le voir fabriquer de A à Z. Il serait impossible de publier davantage. » Assurer donc un développement maîtrisé : on en vient nécessairement au cas Quint. « Une petite structure d’édition doit faire attention à ne pas être déséquilibrée par un best-seller. Le danger est d’investir dans les locaux, d’engager une personne en plus. On sait bien qu’un livre vendu à plus de 20 000 exemplaires relève de l’inexplicable », tout en concédant qu’un tel succès assure une bouffée d’oxygène pendant trois ans « ce qui n’est pas non plus toute la vie d’Héra ».
L’éditrice n’avait pas de prédilection pour le texte court, mais l’effet Effroyables jardins a drainé des auteurs qui sont venus spontanément comme Annie Saumont, Bernard Mathieu, Jean-Noël Blanc… et bon nombre de manuscrits. « C’est mon métier de lire des manuscrits. En revanche, ce qui m’ennuie, c’est quand la lettre débute par Monsieur. » Aujourd’hui, 40% de son catalogue relève du domaine français.
Née en 1951 à Paris, Joëlle Losfeld est tombée dans la marmite de l’édition toute petite. La marmite, installée rue de Verneuil, exhalait des parfums surréalistes, érotiques et libertaires. Fondateur d’Arcanes puis du Terrain Vague (1955), son père, Éric Losfeld, appartient à cette lignée qui a marqué le métier,...
Éditeur La tête et les épaules
février 2004 | Le Matricule des Anges n°50
| par
Philippe Savary
Près de vingt ans d’édition dont douze sous son nom, Joëlle Losfeld, fille d’Éric, mène sa barque entre les rivages des littératures anglo-saxonne et française. Avec tempérament.
Un éditeur