Au répertoire des Valentine majeures, on se souvient fort bien des deux surréalistes, Valentine Hugo (1897-1968) et Valentine Penrose (1898-1978). On pourrait citer aussi Valentine Prax (1897-1981), l’épouse d’Ossip Zadkine, dont la peinture fut louée à la grande époque du Montparnasse. Il en est une dont la renommée est moindre, bien curieusement. Celle-ci se nomme Valentine de Saint-Point et n’est autre que l’arrière-petite-nièce de Lamartine. Née à Lyon le 16 février 1875, elle appartient comme de juste à une famille aristocratique de Mâcon. Élevée avec soin dans un univers trop bourgeois pour être vivant néanmoins riche de livres, elle est tout naturellement conduite à écrire. Ses premiers vers sont couronnés par le journal La Joie de la maison : elle a 14 ans. Évidemment, ce ne sont que les prémices d’une oeuvre protéiforme à venir. Mariée à un professeur pour échapper à son statut de fille de famille, elle supporte mal cet époux mal léché qui a néanmoins la délicatesse de décéder très vite. Elle épouse alors son amant qui d’enseignant se tourne vers la politique sur ses conseils. Ils s’installent à Paris. Lui sera ministre, c’est Charles Dumont. Elle tient salon mais se libère de cet homme pour atteindre enfin à l’indépendance que lui commande son art. Soyons plus précis : ses arts, car la belle aristocrate a plus d’une corde à son arc : poésie, gravure, etc. De Rodin à Satie en passant par Cravan, elle côtoie les créateurs les plus novateurs. Gabriele d’Annunzio la surnomme « la Muse pourpre » ou encore « la Fille du Soleil ». Le séducteur est naturellement sous le charme. C’est l’Italien Ricciotto Canudo (1879-1923) qui sera l’homme de sa vie. Mêlé dès son arrivée (très jeune) en France au mouvement littéraire des jeunes écoles et fonde notamment le Cérébrisme. Ami d’Apollinaire, il tente de réaliser « l’accord de l’ardeur lyrique avec la philosophie la plus méditative ». L’unanimisme de Jules Romains n’est pas loin. De fait, le groupe de l’Abbaye publie les poèmes de Valentine de Saint-Point qui partage le souci de faire la synthèse des arts, question d’époque. Si Canudo entre dans les annales comme le créateur de la critique cinématographique avec Émile Vuillermoz, il restera à peine plus qu’un souvenir de Valentine de Saint-Point qui, au sortir de la guerre de 1914-1918, est déjà en passe d’être oubliée.
Elle fut pourtant une agitatrice hors pair, une scandaleuse qui savait entretenir le mythe de la femme provocatrice. Son but : l’indépendance. Son souci : libérer la femme de son carcan en éradiquant les tabous liés à son sexe. Si son « roman » L’Inceste troubla quelques bonnes consciences, on imagine l’effet que connurent ses conférences et ses articles sur « Le Théâtre de la luxure » redoublés encore par son Manifeste de la femme futuriste (1912 ; Séguier, 1996). Proche de Marinetti, elle est la seule femme admise (un temps) à participer au mouvement futuriste. Plus déterminant sans doute, son Manifeste de la luxure (1913) la rapproche de la position défendue par la révolutionnaire Alexandra Kollontaï qui propose l’érotisme comme moyen d’émancipation des femmes. On le voit, Valentine de Saint-Point est très détachée du combat des féministes qu’elle juge insuffisamment portées sur les questions intimes et spirituelles. Elle est aussi jusqu’au-boutiste. Car cette esthète enjoint aux femmes d’user de la force et de la cruauté. Au fond, Valentine de Saint-Point préconisait l’avènement d’une surfemme dont le modèle rappelle les grandes figures de la tragédie grecque. Surtout, elle annonce étonnamment la femme telle que la rêveront les surréalistes. « Femmes, trop longtemps dévoyées dans les morales et les préjugés, retournez à votre sublime instinct, à la violence, à la cruauté. » On croirait entendre Artaud. Elle rejette d’ailleurs le rôle imparti aux femmes dans le théâtre de son temps et se consacre sous l’oeil de Nijinski à la danse comme la Loïe Fuller. Elle invente la « Métachorie », ou danse idéiste, dont elle fait les premiers essais en décembre 1913. Laurent Tailhade se souviendra de cette femme unique dans ses souvenirs, Quelques fantômes de jadis (1920) lorsqu’elle se préoccupait d’obtenir « quelques détails authentiques sur les débordements de Messaline ».
Plus tard, elle choisira l’Orient comme Isabelle Eberhardt, prendra un nom musulman, Raouhya Nour-el-Dine. Elle s’installera en Égypte, fondera une revue anti-occidentale mais confrontée aux combinaisons politiques finira par se taire. Elle vivra désormais de consultations de voyance, une autre forme de poésie, teintée en outre du surréalisme qui imprègne les Voyages en kaléidoscope d’une autre femme peu ordinaire, Irène Hillel-Erlanger (Allia, 1996). Bien oubliée, Valentine de Saint-Point disparaît dans les limbes le 28 mars 1953 au Caire et ce qui frappe au fond dans le parcours de cette femme fascinante, c’est à quel point elle fut emblématique de son temps. Comme aucune autre créatrice, elle fut sur tous les fronts avec talent, conviction et force. La Poétesse de l’Orgueil et du Désir doit réapparaître dans les histoires de la littérature à côté de ses pairs.
Éric Dussert
* Véronique Richard de la Fuente a publié une belle biographie de la passionnante Valentine de Saint-Point, une poétesse dans l’avant-garde futuriste et méditerranéiste (Éditions des Albères, APAC, 12 rue Aribaud 66400 Céret)
Égarés, oubliés Valentine, la force et la luxure
avril 2004 | Le Matricule des Anges n°52
| par
Éric Dussert
Valentine de Saint-Point fut une éminente avant-gardiste. Modèle et amie de Rodin, elle souhaita libérer la femme par l’érotisme, fut la seule femme futuriste et opta finalement pour l’Orient.
Valentine, la force et la luxure
Par
Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°52
, avril 2004.