Chacun connaît cette photographie d’August Sander : « Trois jeunes hommes en noir, canne et chapeau sur un chemin ». Où vont-ils en cette année 1914 ? C’est à quoi s’efforce de répondre Richard Powers au long cours d’un roman dans lequel trois narrateurs alternent pour nous conter autant d’histoires qui conflueront en fin de volume. D’abord le découvreur, dans un musée de Détroit, de cette énigmatique photo. Ensuite les vies malmenées par un siècle guerrier des trois fermiers allemands. Enfin la quête de la rousse du défilé de l’armistice par le journaliste d’un magazine de micro-informatique… Bien sûr l’image prétendument objective de Sander est battue en brèche par la subjectivité du regard et le sens de l’Histoire de tout narrateur, a fortiori aussi doué pour l’ironie que Richard Powers. C’est entraînant, méticuleux, didactique, un rien pesant, comme tout grand roman américain à volonté encyclopédique qui se respecte et qui seul permet là-bas à l’écrivain de passer pour un maître. Il y a donc quelque chose d’obligé dans cette prise en écharpe du siècle, de deux continents, de grands et petits destins. C’est certes aussi fin qu’instructif et d’une nécessaire ampleur, mais il y manque parfois ce brio qui hisse Gaddis et Pynchon au niveau des plus grands…
Ce premier né de la collection « Lot 49 » (en référence au premier roman de Pynchon) nous promet bien des titres ambitieux et attendus, comme Le Tunnel de William Gass ou Le Passage des ombres du même Powers qui imagine un artiste travaillant sur une caverne platonicienne et hypertechnologique. À suivre donc.
Trois fermiers s’en vont au bal
de Richard Powers
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Jean-Yves Pellegrin, Le Cherche Midi, 524 pages, 20 €
Domaine étranger Au révélateur américain
juillet 2004 | Le Matricule des Anges n°55
| par
Thierry Guinhut
Au révélateur américain
Par
Thierry Guinhut
Le Matricule des Anges n°55
, juillet 2004.