À Massilly, petit village de Bourgogne de 450 habitants, la principale activité réside habituellement dans sa conserverie (la moitié des boîtes de conserves françaises y est fabriquée). Mais au mois d’août, il régnait dans le village une drôle d’effervescence avec les rencontres sur Le Sens et l’avenir de l’acte théâtral, rien moins que cela. À l’origine de l’événement, un solide quatuor : Jean-Louis Hourdin, metteur en scène et chef de troupe, responsable du Groupe Régional d’Action Théâtrale, l’hôte de ce regroupement, Slimane Benaïssa, auteur, metteur en scène et acteur, qui a dû s’exiler en France en 1993 après une vingtaine d’années de théâtre en Algérie, Jean-Yves Picq, auteur, metteur en scène et comédien et Louis Arti, romancier, comédien, chanteur et musicien. Ces quatre-là ont en commun, en plus d’une très grande complicité, une pratique de ce métier exemplaire, une volonté que le théâtre soit un lieu du politique et du poétique, des remises en question douloureuses plus une immense inquiétude sur la situation actuelle. Seize comédiens se sont joints à eux pour prendre le temps de la réflexion. « Retrouver un appétit, un sens, ne plus être dans une fonction, mais dans une réflexion », précise Jean-Yves Picq.
En effet, à une époque où l’outil de travail poétique et théâtral est menacé de toute part, où l’aculturisation est galopante, le souci de rentabilité économique prédominant, les outils de la culture confisqués par des intermédiaires culturels et où il est de plus en plus difficile de nommer la réalité du monde qui nous entoure, la nécessité de prendre le temps de penser autrement s’impose.
Pour Slimane Benaïssa : « Devant l’agression générale, on doit réfléchir sur soi-même. Quand je suis debout sur une scène, qu’est-ce que je suis en train de faire ? Le théâtre est l’une des meilleures écoles à la citoyenneté. Il regroupe, socialise, assoie et affirme les convictions des collectivités, publiquement et socialement. J’ai une double expérience d’un métis, j’ai vu les fissures de la société algérienne, bien plus brutales. Mais aujourd’hui en France nous vivons les mêmes dérives, elles s’avancent plus camouflées et maîtrisées. Les notions de rentabilité sont hors propos car elles tuent la proximité républicaine. Et préparent une société inquiétante. »
Un mois donc pour « lever une question ». La salle de bal du village a été transformée par la compagnie de Jean-Louis Hourdin en salle de théâtre. Un grand tableau est posé au mur pour permettre d’afficher toutes les pensées ou lectures importantes du moment. La petite lumière sacrée du théâtre, la servante, est allumée.
La première semaine, ces rencontres se sont nourries d’un grand débat d’idées. Plusieurs intervenants sont venus ajouter leur parole à l’édifice. Des sujets comme l’énergie en 2050, l’altermondialisme, le racisme, la notion de catastrophe ou encore le pourquoi de la subvention et de l’intervention de l’État en matière culturelle ont été abordés. Sans compter que les vingt participants devaient chacun donner leur point de vue sur le monde, les auteurs, les écrits et les rencontres fondatrices pour eux.
Les trois semaines suivantes il s’agissait, avec toute cette matière échangée, de tenter de faire du théâtre autrement. « Je cherche une nouvelle façon, même si elle n’est pas originale, d’être acteur, de mettre l’homme, le citoyen, l’amoureux, le révolté avant l’acteur et de voir comment il proteste, comment son corps entier proteste. Veillez et armez-vous en pensée, cette réplique de Büchner pourrait être le slogan d’une nouvelle communauté théâtrale », précise Jean-Louis Hourdin. Pour Jean-Yves Picq : « Qu’est-ce que c’est que cet acte particulier qui nous engage au plus profond alors que chaque fois que nous le faisons, nous donnons l’impression que tout notre effort est d’être lisse et transparent ? Comment peut-on être maladroit plutôt qu’adroit, incomplaisant plutôt que complaisant, opaque plutôt que transparent ? Nous travaillons sur le petit homme, pas le compétiteur. L’Art est dans le maladroit et pas ailleurs, même s’il nécessite de la virtuosité. Dans ce travail que nous menons, ce ne sont pas les réponses qui sont intéressantes, c’est de prendre le temps de lever une question. »
Le Maladroit de l’homme, c’est le titre d’une chanson de Louis Arti. Souhaitons à ce petit homme maladroit de poursuivre son bonhomme de chemin pour que de telles rencontres deviennent pérennes et plus fréquentes.
Vie littéraire Le maladroit de l’homme
septembre 2004 | Le Matricule des Anges n°56
| par
Laurence Cazaux
Un mois pour se poser la question du sens de l’acte théâtral, tel était l’enjeu démesuré et jubilatoire des rencontres de Massilly.
Le maladroit de l’homme
Par
Laurence Cazaux
Le Matricule des Anges n°56
, septembre 2004.