On trouve trois bibliothèques chez Laurent et Alexandra Gaudé. La visite commence dans la cuisine où sont réunis quelques auteurs étrangers. Notre hôte avoue « un faible pour le rayon du haut avec Conrad » dont il cite Lord Jim et Typhon lu récemment et dont l’intensité du récit l’a séduit. « Surtout je suis admiratif du nous employé dans ce roman. C’est d’une grande fluidité alors que ce nous est changeant. » Puis quelques Garcia Marquez dont L’Amour au temps du choléra. Dostoïevski impressionne par sa masse. On passe sur Faulkner, Tolstoï pour s’arrêter sur Conversation en Sicile de Vittorini auquel Gaudé a beaucoup pensé pour Le Soleil des Scorta. Une scène le « bouleverse » et lui prouve que « la littérature change la vie » : lorsque le narrateur goûte une orange amère de Sicile : « je ne peux plus manger une orange sans penser à Vittorini ».
Dans le couloir, c’est la poésie qui tient le flambeau avec Cavafy, Cendrars et sa Prose du Transsibérien qui lui « a permis d’oser la forme d’Onysos le furieux », René Char, Pavese et son Travailler fatigue. La littérature française, à côté, est mal rangée et voisine avec l’ensemble des livres de notre hôte dans leurs traductions. Dans ce pêle-mêle, les guides de voyage révèlent leur importance, l’un d’eux a livré à l’auteur de Salina la photo d’un guerrier noir qui allait servir de modèle au personnage de Kwane N’Krumba. La littérature française étale son éventail dans la dernière pièce, derrière « le lit du petit » qui en attrape parfois quelques-uns, d’où le tas de livres chus sous son lit. Surtout, au-dessus, trônent les livres de photographies qui ont excité l’imagination de Laurent Gaudé pour écrire La Mort du roi Tsongor (Fastueuse Afrique où « il y a une photo de chacun de mes personnages »), les photos de Mario Giacomelli ayant nourri Le Soleil des Scorta, celles de Michael Ackerman Médée Kali. « J’adore travailler à partir de photos. » Le théâtre (Shakespeare, Koltès, Brecht, Tchekhov) occupe tout un pan de mur avec trois grigris de forces et quelques photos souvenirs dont une du regretté Jean-Yves Dubois en Onysos. Laurent Gaudé montre un cliché sous verre. On y voit Strehler, Brecht et Paolo Grassi, fondateur du Piccolo Theatro : « c’est l’image du théâtre pour moi : un metteur en scène, un auteur, un directeur et la rencontre entre les trois. »
Dossier
Laurent Gaudé
Les lieux de transmission
octobre 2004 | Le Matricule des Anges n°57
| par
Thierry Guichard
,
Laurence Cazaux
Un auteur
Un dossier