Le plan des trois parties pourtant très ambitieuses des modestes propositions, essai daté de 2004, s’articule comme suit : I, « État des lieux en douze constats ». II, « Cinq thèses sur la phase transitoire entre l’économie boursière en stagnation et un dynamisme fondé sur la production d’énergies renouvelables ». III, « Treize propositions pour faire primer la vie sur l’économie ». Dans l’« État des lieux » plus particulièrement, on apprendra le détail de tout ce qui se dégrade : l’air, l’eau, le climat, la faune et la flore, l’alimentation, le logement, les transports et les services publics, les services de santé, l’enseignement, la politique, la conscience humaine et la solidarité, la recherche scientifique et intellectuelle, la valeur d’usage, les luttes revendicatives, et enfin l’existence quotidienne, se dégradent. Mais apparemment, il n’y a plus qu’un dernier pas à faire pour tout changer, les mœurs, le lien social et politique, les rapports de production, la sexualité… car opportunément, l’auteur développe ensuite un panel de solutions adaptées, militant pêle-mêle pour le droit des femmes, la gratuité de la communication et des transports, les énergies renouvelables, la démocratie directe… on est au bord d’une récupération essayistique de l’existence du soleil.
Malgré un ton très affirmatif et une énergie pamphlétaire rutilante, la lecture est troublée par une quantité remarquable de réticences : raisonnements abusifs, généralités sans exemples, abstractions métaphoriques devenues des sortes d’agents concrets du réel, amalgames à volonté (franchement, que viennent faire les spectaculaires serial-killers dans une argumentation de type sociologique ? Pourquoi pas des liens occultes entre les bactéries et l’UMP ?), axiomes faisant appel à une connivence déjà orientée, oppositions naïves comme celle entre création et travail, négativisme à tout propos sans qu’on sache, même par bribes, ce que l’auteur, figure historique du situationnisme, nous a concocté comme monde révolutionné. Évoquant « un projet de société capable de conforter l’exubérante générosité de la vie », il n’en donne pas le contenu : ville, campagne ? Mer, montagne ? Un peu plus loin, on comprend mal pourquoi le « désir d’une destinée vouée à l’amour, à l’entraide, à la solidarité, à la gratuité des plaisirs, à l’art de jouir, à l’invention de paysages intérieurs et extérieurs, à la patiente construction du bonheur » (p. 69), vit un si long martyre dans une histoire décrite par l’auteur comme une tragédie d’aliénation et d’expropriation ; quid de l’essor colossal, au vingtième siècle, de la culture démocratique de masse, du confort, des loisirs, de la baisse du temps de travail ?
Dans les Banalités de base, réédition de 1962, les limites du verbiage sont dépassées de telle sorte qu’au sujet de phrases comme « Dans le cadre d’un pouvoir parcellaire rongé par la désacralisation, les rôles s’appauvrissent, comme le spectacle marque un appauvrissement par rapport au mythe », il est impossible de dire si l’auteur tenait réellement une pensée au moment de la juxtaposition de ces termes confus. La pensée dominante fait ci, la bourgeoisie en général fait ça, le capitalisme accomplit l’action difficile à concevoir d’un verbe pas complètement clair, bref, un penseur peu rigoureux fait le tour de ses limites, générant si on le suit une promenade inégale, prétentieuse, pas complètement désagréable, dans les discours contestataires.
Raoul Vaneigem
Modestes
propositions
aux grévistes
pour en finir avec ceux qui nous
empêchent de vivre en escroquant le bien public
150 pages, 7,50 €
Banalités de base
104 pages, 7,50 €
Verticales, « Minimales »
Poches Agit-prop et banalité
février 2005 | Le Matricule des Anges n°60
| par
Ludovic Bablon
Raoul Vaneigem publie deux essais, écrits à 40 ans de distance. Polémique contestataire qui plante ses pieds dans différents plats en espérant que ça repousse.
Des livres
Agit-prop et banalité
Par
Ludovic Bablon
Le Matricule des Anges n°60
, février 2005.