La Sociologie sacrée du monde contemporain : soit cinquante-quatre feuillets interrompus au milieu d’une phrase, et qui constituent le corps (presque) entier, inédit, d’une conférence prononcée le 2 avril 1938 par Georges Bataille, dans le cadre du Collège de sociologie qu’il avait créé avec Roger Caillois et Michel Leiris. L’ambiance n’est pas vraiment à la fête : il s’agit, juste après Munich, de penser le monde contemporain et sa destinée. Ce qui se profile, et ce qui est déjà là : le nazisme bien sûr, mais aussi le bolchévisme et le fascisme. Bataille perçoit alors de façon fulgurante la « désagrégation intense » de la révolution communiste. Le travail y est devenu l’impossible « foyer d’existence de la société tout entière ». Le monde russe est « officiellement monde du travail » : son chef est alors « placé hors de toute discussion » et la société est réduite à une servitude du « monde militaire ».
Ces pages d’une remarquable densité peuvent agacer car l’amalgame entre bolchévisme et fascisme a depuis fait son chemin, car certaine nostalgie « Je ne m’inscris pas dans les rangs réactionnaires », prévient le conférencier… est sans doute ici à l’œuvre. N’empêche : en 2005, où la philosophie semble s’être bornée aux traités d’athéologie et autres principes d’ingouvernabilité, la prose de Bataille peut encore impressionner. Ardente et froide, mêlant rigueur et cérémonie, elle élève constamment l’analyse à la hauteur du mythe.
La Sociologie sacrée du monde contemporain de Georges Bataille
Lignes Manifeste, 44 pages, 13 €
Essais La pensée du désastre
mars 2005 | Le Matricule des Anges n°61
Un livre
La pensée du désastre
Le Matricule des Anges n°61
, mars 2005.