Juillet 1976. Buenos Aires. Alors qu’elle écoute les paroles réconfortantes d’un tango près de son enfant endormi, un commando fait irruption dans l’appartement de Sara Mendéz. Elle est conduite, les yeux bandés, dans un garage faisant office de prison, où elle va subir les pires tortures, comme des dizaines d’autres détenus. Membre de la Fédération anarchiste d’Uruguay et recherchée par l’armée, Sara Mendéz s’était réfugiée en Argentine pour continuer sa lutte clandestine. « Je me suis dit : ils ont le pouvoir, mais nous avons la parole. C’est naïf, pas vrai ? Mais quand même. » Elle fait partie des indésirables visés par le plan Condor. Avec l’aval des services secrets américains, des milliers d’opposants sont comme elle enlevés, interrogés et torturés. Pour la plupart, ils ne reviendront pas. Sara est transférée en Uruguay pour y être officiellement emprisonnée jusqu’en 1981. Dès sa libération, elle entreprend une quête qui durera plus de vingt ans : retrouver son fils. « Ceux qui savaient se taisaient, ceux qui avaient peur oubliaient, ceux qui espéraient perdaient courage. Mais lorsque, par une tiède journée d’automne, Sara Méndez fut mise en liberté conditionnelle, elle portait en elle l’image du petit Simón, car elle en avait trop vu et trop enduré pour continuer à vivre sans lui. » Simón n’avait que trois semaines lorsqu’il lui a été arraché. Au cours des longues années que durent ses recherches, oscillant entre périodes d’espérance et d’abattement, Sara est aux prises avec un questionnement incessant. Est-il vraiment en vie ? Saura-t-elle le reconnaître après tant d’années ? Nombre d’enfants de « disparus » ont été adoptés par des membres de la police argentine. Peut-être est-il heureux sans elle ? La difficulté d’éventuelles retrouvailles l’incite parfois au renoncement. « Sara pensait à la souffrance de l’enfant obligé de s’opposer à ceux qu’il croyait être ses parents, de prendre le parti d’inconnus qui disaient être ses véritables parents. Je ne pourrai pas épargner cette souffrance à Simón. Il m’en rendra responsable. Je n’ai pas d’autre choix que de l’abandonner au mensonge. Mais n’a-t-il pas tous les droits à la vérité ? »
Sara et Simón est moins un roman qu’un témoignage. L’écriture en est sobre et contenue. Pas de place ici aux effets de style. Le but de Hackl n’est pas de faire pleurer dans les chaumières mais de « raconter ce qui se laisse si peu raconter ». Il y a de la pudeur dans son récit, et juste ce qu’il faut de mots pour saisir l’horreur. À travers le destin individuel de cette mère, Hackl retrace l’un des pans d’une histoire tragique qui n’a pas encore pris fin. Malgré les tentatives acharnées de celles qu’on a appelées les « Folles de Mai » ces femmes qui tournaient en rond, chaque semaine, devant le palais présidentiel de Buenos Aires pour réclamer des nouvelles de leurs proches disparus, le secret persiste. Car le silence est protégé. En 1986, le Parlement uruguayen a voté une loi prévoyant l’amnistie pour tous les crimes commis par les membres de la police et de l’armée dans l’exercice de leurs fonctions entre le putsch de 1973 et le 1er mars 1985… Une loi d’impunité, qui pose des scellés sur la vérité, privant les victimes de tout recours et de leur plus simple droit à la reconnaissance des faits.
À la lecture de ce récit, on ne peut qu’être ébahi par le courage et l’endurance de Sara. Sa puissance de vie. « Assumer son passé, mais réclamer le droit d’en finir avec lui. Ne pas tout jeter, ne pas continuer à tout porter. C’est aussi ma voie, dit Sara. » Aujourd’hui encore, à ses côtés, des hommes et des femmes luttent pour que la loi d’amnistie soit abrogée. Leur plus belle arme reste l’espoir, tenace.
Sara et Simón.
Une histoire
sans fin
Erich Hackl
Traduit de l’allemand par Chantal Philippe
Viviane Hamy
220 pages, 15 €
Domaine étranger À force d’espérer
avril 2005 | Le Matricule des Anges n°62
| par
Lise Beninca
À travers l’histoire de Sara Mendéz, victime emblématique de la dictature uruguayenne, Erich Hackl évoque ces « disparus » dont on tait encore le sort.
Un livre
À force d’espérer
Par
Lise Beninca
Le Matricule des Anges n°62
, avril 2005.