Hubert Mingarelli, l'appel de la fiction
Sur la route Napoléon en Isère, dans la montée de Laffrey, les automobilistes scrutent les nuages au niveau des travaux d’agrandissement de la chaussée. Ils sont comme Horacio dans La Beauté des loutres : ils craignent que la neige ne tombe, bien qu’on soit en avril, et rende dangereuse la circulation. Plus loin, les trois lacs réfléchissent la lumière des champs de neige qui les entourent. Il y a quelques jours seulement, on aurait pu voir un petit bateau muni d’une voile canoter d’une rive l’autre. C’est un misainier à la coque sombre et luisante, bordée d’un liseré blanc et d’une bande verte, long de près de cinq mètres. À la barre, on aurait peut-être reconnu Hubert Mingarelli assis aux côtés d’un autre écrivain, Antoine Choplin. À cette époque de l’année, les lacs se libèrent tout juste de la glace et il faut, pour mettre un tel canot à flots, se dépêcher et ne pas se louper sous peine de se retrouver avec les jambes ankylosées, gelées. Il faut aimer la voile…
Le silence, une absence, un secret : quelque chose gît au coeur de ses fictions qui en est la source originelle.
On se souvient avoir vu Hubert Mingarelli, lors d’une rencontre autour de la littérature jeunesse, parcourir le port de La Rochelle à la recherche d’une pièce pour son bateau. L’homme habite à mille mètres d’altitude, près de la ville de La Mûre face au massif des Écrins recouvert de nuages. C’est là, que durant deux ans, il a construit ce rêve de bois. Un chantier commencé à la sortie d’Une rivière verte et silencieuse en 1999. Probablement a-t-il scruté le ciel la veille de notre venue, espérant une amélioration météorologique pour nous proposer l’aventure. Mais le temps n’est pas clément et la nuit suivante des centaines d’automobilistes seront coincés sur l’autoroute qui descend vers le sud par la neige tombée en tempête. Tant pis pour les lacs. Tant pis pour la navigation. On se contentera d’admirer les maquettes impeccables aux voiles cousues main dont la fabrication a longtemps concurrencé l’écriture. La beauté des charpentes, l’élégance muette des ponts, la tension des haubans donnent sous les vitrines où elles s’exposent une sérénité à toute la maison. Dehors, une baraque de bois abrite le misainier. Cette présence marine, si loin des mers, ne surprendra pas le lecteur d’Hubert Mingarelli. Le Bruit du vent, Le Jour de la cavalerie, Hommes sans mère évoquent peu ou prou la mer et les bateaux. Le groupement des librairies Initiales a publié une nouvelle aussi, Sur la mer qu’on devrait retrouver bientôt dans un recueil à paraître aux éditions du Seuil.
En passant devant le misainier pour se rendre dans le bureau de l’écrivain (grand comme une cabine de pilote : une chaise, une table, une bibliothèque, un ordinateur, deux ou trois maquettes et un canapé) on ne peut s’empêcher de penser que notre hôte a construit là une arche. Une arche pour sauver chacun des personnages qui habitent ses livres, une arche pour sauver aussi les animaux...