Conçue comme une nouvelle pièce critique consacrée à l’œuvre et au personnage de Jude Stéfan, la Rencontre organisée par Tristan Hordé une nouvelle étape du cheminement commun d’un auteur et de son exégète, déjà responsable en 1993 du Cahier J. S. (Le Temps qu’il fait) participe apparemment du dispositif historiographique imaginé par un écrivain des plus malins. D’aucuns, peu sensibles au charme du concentré de roublardise et de provocation qui émanent du plus célèbre écrivain de Bernay après Jean de La Varende historiquement, ont lancé des adjectifs moins élégants que celui-ci. On a pu lire ainsi les mots « snobs » ou « dandy » à propos d’un Stéfan présenté en filigrane comme un astucieux promoteur de son œuvre, de son image, de sa personne, de sa biographie et de son talent.
Il faut n’avoir senti ni l’humour jaune, ni la solitude, ni l’angoisse de Stéfan pour taxer son attitude et ses propos de snobisme. Il faut parfois résister aux apparences, fussent-elles nippées de machiavélisme ou nimbées de manipulation. On pourrait, par exemple, se pencher un peu au-dessus de la margelle du puits J.S. et contempler, tête en bas, le reflet de « l’incessant tournoiement des corbeaux dans le ciel ». Car Jude Stéfan, appelant de tous ses vœux la mort, le suicide, la solitude, la singularité de l’artiste figé dans une attitude dédaigneuse, s’enquiert essentiellement de l’attention qu’on lui porte. Quoiqu’on en dise, le provocateur cherche plus souvent la tendresse que les horions. Encore faut-il y songer.
Il faut se souvenir aussi du parcours de Stéfan, personnalité complexe plutôt que sombre nul doute qu’il préférerait que l’on pose ici l’adjectif « obscure », déniché par Marcel Arland et Georges Lambrichs, lié à Jean-Philippe Salabreuil et au groupe des Cahiers du Chemin (Trassard, Réda, etc.), pour imaginer à quel point notre époque doit le laisser perplexe et désemparé. Dans son goût répété des « modernes » mais qui plus que lui rend grâces aux Anciens qu’il déshabille pour les habiller encore ?, dans son désir de plaire aux jeunes auteurs les plus manifestement cérébraux, se manifeste sans doute son désir d’excellence et de différenciation sociale, lequel exprime plus que tout son engagement en faveur de « l’art pour l’art » (mais aussi du football) et de la mission sacrée de l’artiste (lequel, professeur à la retraite, paraît avoir aimé ses élèves pour ce qu’ils étaient), soit la vieille rengaine des symbolistes auxquels on le voit bien mal allié. Pour autant, un auteur doit-il garantir la moindre cohérence ? La fantaisie n’est-elle pas toujours sa vérité première, le gage de sa singularité et son unique capital ?
Adepte de la transformation subtil des formes littéraires, Jude Stéfan est un écrivain dont on devine à la lecture les jouissances et cérébrales et sentimentales. Il en coûterait de les admettre. Aussi, choisit-on de ne pas prendre pour argent comptant ses contes et légendes d’un vieil atrabilaire élitaire et rassis. D’ailleurs, le volume de Tristan Hordé offre, en compagnie d’un entretien thématique largement pourvu de moments savoureux, assez d’extraits de son œuvre pour que ceux qui ne l’auraient pas encore lu comprennent à quel grave et subtil farceur ils ont affaire. Jude Stéfan snob ? Que nenni. Vieux prof aigri ? bien moins encore : « à mon âge l’on est usé. J’expie les années de croyance » écrivait-il, il y a vingt ans, dans Gnomiques. Jude Stéfan, brillant mythifieur, cherche aujourd’hui dans le noir la deuxième marche de sa postérité et, tout à tâtons, va buter du nez contre la cloison… Il ne s’est pas aperçu qu’il est parvenu au palier.
Rencontre avec Tristan Hordé
Jude Stéfan
Éditions Argol
205 pages, 23 €
Poésie Sa vie anthume
juillet 2005 | Le Matricule des Anges n°65
| par
Éric Dussert
Jude Stéfan accorde à Tristan Hordé un long entretien. Propos d’un provocateur parsemés de naïvetés, chausse-trapes, apparences et mythologie personnelle.
Un livre
Sa vie anthume
Par
Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°65
, juillet 2005.