Les pères vivent-ils dans un univers parallèle ? En onze courtes scènes, Philippe Garnier campe celui d’un père phobique et obsessionnel autour duquel tournent, comme des satellites attirés par sa lumière et incapables de s’en abstraire, le narrateur et ses frères. Mi-désemparés mi-conquis, ils cèdent à ses manies, y sombrent à leur tour, et lorsqu’ils tentent, épuisés, de se débarrasser de lui en le laissant endormi dans un hôtel isolé, c’est peine perdue. Parce qu’un père, quoi qu’on veuille, c’est pour la vie. Sa vie à lui, c’est d’attendre un appel devant le téléphone débranché ? « ce que vous prenez pour du silence n’est peut-être qu’une interminable sonnerie », d’inventer une nouvelle langue uniquement composée de voyelles afin de ne pas s’user les dents, ou de communiquer avec on ne sait qui dans le cagibi. Le texte tourne un peu en rond, comme les enfants autour du père, mais chaque scène est une trouvaille d’absurde et de fantaisie, glissant sournoisement vers l’angoisse. La plus belle est peut-être celle où le père, entré en guerre contre les incursions du noir dans la maison, soupçonne son fils d’un « recel de zones d’ombres ». « Il faisait la chasse à ce qu’il appelait les dépôts d’obscurité les fonds de cendriers, les culs de bouteilles, l’intérieur des livres, des cahiers et des enveloppes. » « Est-ce que je faisais vraiment de mon mieux pour expulser le dépôt obscur des replis secrets de mon corps ? » Lorsque le père comprend enfin que son fils est une lampe sans ampoule, tout le monde est rassuré.
Mon père s’est perdu au fond du couloir
de Philippe Garnier
Melville éditeur, 110 pages, 14 €
Domaine français Un père, ce mystère
septembre 2005 | Le Matricule des Anges n°66
| par
Lise Beninca
Un livre
Un père, ce mystère
Par
Lise Beninca
Le Matricule des Anges n°66
, septembre 2005.