L’auteur d’Une histoire de la lecture a parfois commis des récits plus ténus, voire, diront les détracteurs, plus maigres… Mais ce Retour, quoique mince en pagination, est d’une réelle intensité. Intensité de la dynamique narrative d’abord et de la déflagration fantastique produite par la remontée du souvenir ensuite.
Nestor, antiquaire romain, reçoit une invitation à un mariage. C’est l’occasion de retrouver une Argentine oubliée, ou occultée. Dès l’aéroport, les rues bondées, il fait la première rencontre d’un fantôme de son passé. Quitte-t-il le sol de la réalité, des coïncidences perturbées par la fatigue du décalage horaire ? S’agit-il de fantasmes excités par le retour du refoulé de sa jeunesse estudiantine, des manifestations, des interventions policières, de l’exil précipité ? Peut-être est-il entré dans le royaume des ombres, si l’on imagine que ses anciens amis, étrangement inchangés, ont été tués par la répression… Peu à peu, les apparitions et disparitions, au détour d’une rue, dans un café soudain introuvable, emportent Nestor dans une spirale d’inquiétude et de culpabilité : pendant que ses amis étaient dévorés par les geôles de la police, il profitait d’un exil aussi rapide que facile. Un autobus apparemment réaliste finit par l’emporter sur le terrain d’un Luna Park qui fleure bon les retrouvailles autant que la danse macabre aux Enfers…
Si l’on se demandait comment unir réflexion sur les années noires du fascisme argentin et bacchanale fantastique, nul doute qu’Alberto Manguel nous a offert une belle réponse.
Un retour d’Alberto Manguel
Traduit de l’espagnol (Argentine) par Alexandra Carrasco, Actes Sud, 80 pages, 12 €
Domaine français Fantômes argentins
novembre 2005 | Le Matricule des Anges n°68
| par
Thierry Guinhut
Un livre
Fantômes argentins
Par
Thierry Guinhut
Le Matricule des Anges n°68
, novembre 2005.