Une nouvelle émission de débats sociétaux, on leur avait dit ça, aux téléspectateurs. Qu’à partir du 6 septembre 2006 il y aurait sur France 2 une nouvelle émission de débats sociétaux. Pour les autres, je ne sais pas, mais moi j’étais contente, pleine d’espoir, vous voyez. Je susurrais formule magique aux baffles de ma télévision : année électorale, débats sociétaux, France 2 Service Public. C’était comme une petite chanson qui syllaberait en bancal sec pour conjurer le mauvais sort. Le sort des téléspectateurs.
Fin août je ne voulais rien savoir, je voulais cajoler la surprise, je multipliais les paris, les facteurs et les hypothèses. Quelles options pour la direction, l’époussetage d’un placard, le retour d’un vieil oliphant, un 85-60-85 débauché sur le câble, un sympathisant UMP ou un louveteau sans râtelier. Quel principe, quel dispositif, axes thématiques et libellé, circulation de la parole, profil type des intervenants. J’avais passé l’été sans la télévision, je l’avais oubliée, bien sûr pas complètement, mais j’avais égaré quelques données en route, celles qui définissent par exemple la notion de débats sociétaux à la télévision. Au point que j’ai frôlé la défenestration le 6 septembre au soir.
Ça s’appelle donc L’Arène de France. C’est présenté par Stéphane Bern : Bienvenue à l’Arène de France, place à un feu d’artifice d’éloquence. C’est sur France 2 chaque mercredi et j’aimerais bien saisir le mot, le mot précis, celui capable de contenir le suppuré de l’émission. Une épithète replète du souffle de Pandore, de la toxicité dégorgeant de l’attribut, des assonances qui tintent l’aigrelet renfermé. C’est important, vous comprenez, il faut de la rigueur dans la restitution, transmettre ce que j’ai vu puisque comme d’habitude je n’ai rien inventé. Seulement voilà, le Petit Robert est formel : cet adjectif n’existe pas. Celui qui serait approprié, on n’arrive pas à le fabriquer, il y a beaucoup trop de trucs à faire tenir dedans, ce serait un mot valise à soufflets germaniques et le Petit Robert dit que c’est interdit.
Interview de Stéphane Bern dans le Figaro ce mois-ci : « La Télévision est devenue conservatrice, elle protège un noyau de privilégiés. Tout y est lisse, politiquement correct, à mille lieues des propos violents de la rue. J’ai envie de recréer une émission citoyenne où aborder tous les sujets qui divisent les Français. »
Au centre de l’arène, Bern, deux camps en frontal, en retrait un invité fil rouge, dans les gradins le public vote avant et après le débat. Débat : action de débattre une question, de la discuter. Bienvenue à l’Arène de France, place à un feu d’artifice d’éloquence. Éloquence : art de toucher et de persuader par le discours.
Sur le plateau, alignement six contre six, des spécialistes. L’école fabrique-t-elle des crétins : Gilles de Robien, Jean-Paul Brighelli, Sinik, un prof d’EPS molesté, Joëlle Goron. Invité fil rouge : Bernard Tapie. Une femme peut-elle diriger la France : Geneviève de Fontenay, Philippe Sollers, Jean-Pierre Mocky, Isabelle Alonso. Invité fil rouge : Astrid Veillon. Les autres je les ai oubliés, quatorze personnes émettent quasi simultané, cacophonie, migraine, illisibilité. Après chaque feu d’artifice d’éloquence, la parole est aux avocats. Pour de vrai, ce n’est pas une image, ça fait longtemps que la métaphore est abolie, à la télévision. De jeunes avocats du barreau, qui s’emparent d’un dossier, L’école fabrique-t-elle des crétins, La France est-elle un pays privilégié ; Une femme peut-elle diriger la France ; Faut-il enfermer les psy ; La société est-elle devenue pornographique ; Faut-il régulariser tous les sans papiers. De jeunes avocats du barreau qui défendent oui ou non La société est-elle devenue pornographique ; Faut-il régulariser tous les sans papiers. Durant l’heure de caquetage ils prennent des notes, greffent à leur plaidoirie finale quelques éructations commises, stabilo jaune vif au direct, interactivité, spontanéité, fraîcheur, modernité, service public. Face caméra, la plaidoirie, avec de grands mouvements de bras et des citations découpées dans les pages roses d’un vieux Larousse. On relance les compteurs, finalement messieurs dames oui non une minute oui ou non et comme disait Montaigne. Pourcentages résultats, la couronne aux vainqueurs, ceux qui furent convaincants. Triomphe.
Une femme peut-elle diriger la France, en soi déjà c’est très violent, se dire qu’on en est là, qu’on y retourne, plutôt, une femme peut-elle diriger la France question, service public. Le Docteur Henri Amoroso, neurologue de 81 ans, n’a pas convaincu le public lors de l’émission du 13 septembre. Chose étonnante, cet homme, lui, avait un discours. Une femme ne peut rien diriger, même pas des employés et encore moins la France, le syndrome prémenstruel ça rend ces dames nerveuses. Il exagère rebonds il exagère oui non. Aborder tous les sujets qui divisent les Français : oui / non. Conditionnement binaire, chiennes de gardes haletantes, service public. Éloquent : qui, sans discours, est expressif, révélateur.
Vu à la télévision Étude de cas
octobre 2006 | Le Matricule des Anges n°77
| par
Chloé Delaume
Étude de cas
Par
Chloé Delaume
Le Matricule des Anges n°77
, octobre 2006.