Pour dresser la toile de fond de ses romans (c’est son quatrième), Vincent Delecroix utilise sa formation de philosophe, comme une mélodie discrète mais récurrente. Le narrateur de Ce qui est perdu, qui se prénomme également Vincent, s’escrime à rédiger une biographie de Kierkegaard, dans l’espoir de reconquérir par ce biais un amour perdu. Il est persuadé que l’histoire de ce philosophe mélancolique qui n’aima qu’une seule femme et la perdit volontairement fera réfléchir sa belle. Mais ce qu’il cherche avant tout, c’est une réponse à la question : comment vivre avec ce qui n’est plus là et qui pourtant ne cesse d’être présent ?
Vincent se rend régulièrement chez son coiffeur, puisqu’il associe la repousse de ses cheveux à celle de sa peine, et le principal plaisir du livre vient de là : les histoires qui s’y entrecroisent se racontent sur le fauteuil d’un salon de coiffure, avec la dame sous le casque chauffant qui donne sans arrêt son avis, le client d’à côté aussi, le coiffeur arbitrant l’ensemble tout en maniant les ciseaux. Chacun y va de sa petite fable, distribuant des conseils avisés du type : la brèche pour entrer dans la vie, c’est l’amour. « (…) J’avais encore raté l’occasion d’entrer dans la vie réelle, parce que c’est ainsi qu’on y entre, dans la vie : par l’amour de quelqu’un, par l’amour. Mais je lui ai dit : c’est aussi comme ça que l’on en sort, apparemment. » Sans prétention, d’une légèreté qui file parfois vers la facilité (de la philosophie de coiffeur ?), ce livre reste fort sympathique. Les parcours de Vincent dans Paris (afin d’occuper son désœuvrement, il est conducteur de bus pour touristes danois) se révéleront initiatiques, et c’est en courant après un chat noir acariâtre qu’il trouvera enfin quelque chose.
Lise Benincà
Ce qui est perdu
Vincent Delecroix
Gallimard, 160 pages, 14 €
Domaine français Une de perdue
novembre 2006 | Le Matricule des Anges n°78
| par
Lise Beninca
Un livre
Une de perdue
Par
Lise Beninca
Le Matricule des Anges n°78
, novembre 2006.