C’est une phase de retrait voire d’inactivité, de fuite de la « table de travail » et de lecture bienheureuse de l’aisance d’autres écrivains qui projette Oana Orléa dans la narration de quarante-sept courts récits rapportant des Rencontres sur le fil du rasoir. Titre parfait pour retranscrire ces pages oniriques et tranchantes, ces moments de basculements où l’irruption de l’Autre aménage un espace entier d’inattendu, d’inavouable, de perturbant abattant les certitudes, vis-à-vis de soi, du monde, du temps, tels de futiles châteaux de cartes que l’on se construit ou autres tours d’ivoire friables, remises en cause par une rencontre avec un lac changeant de couleur, avec un chat gardien et une forêt qui s’éveille mais est-elle plus réelle que le nain qui surgit pour lui dire : « Cette forêt n’existe plus, depuis bien longtemps, tu crois la voir mais c’est seulement le reflet du souvenir que j’en garde », rencontre avec une maison qui s’effondre, avec une autruche en lieu et place de vaches vendues par un fils moderniste, ou avec des assassins, autant de moments prétextes à être avec le monde, à y participer et sortir du « désert, ce manque de mots ». La force opérante de ces récits est aussi dans l’alliage entre un style direct, presque familier et la magie émanant du règne des souvenirs et des rêves, entre espoir et nostalgie.
Chaque rencontre, traversée par une pensée profondément subversive, porte sa part d’impossible, de regret, d’irrévocable jusqu’à celle avec le « colibri » au seuil de la mort mais aussi d’absolue liberté, et témoigne sur un autre registre que ses précédents écrits, plus autobiographiques, du parcours d’Oana Orléa, réfugiée politique en France depuis 1980, après avoir connu les geôles roumaines.
Rencontres sur le fil du rasoir d’Oana Orléa
L’Arpenteur, 149 pages, 14,90 €
Domaine français Châteaux de cartes
avril 2007 | Le Matricule des Anges n°82
| par
Lucie Clair
Un livre
Châteaux de cartes
Par
Lucie Clair
Le Matricule des Anges n°82
, avril 2007.