La couverture annonce déjà le paradoxe du personnage. Une femme d’âge respectable, aux cheveux tirés vers l’arrière et au collier de perles, posant devant une vitrine de livre anciens, photo sans doute prise aux Archives Nationales où elle fit sa carrière. Mais, derrière le visage, se lit une facétie juvénile à peine réprimée. Tout Edith Thomas est là, dans une dualité qu’elle chercha sa vie durant à transcender par l’engagement politique et l’écriture. Journaliste pour Les Lettres Françaises clandestines, elle s’indigne devant les convois d’enfants déportés puis la torture en Algérie, contribue à la création des Éditions de Minuit, décrit des femmes en quête d’autonomie dans ses romans. L’ensemble demeurera pourtant confidentiel au-delà de sa mort en 1970.
Un silence en grande partie dû à sa critique de l’existentialisme qu’elle assimilait à une dérive de la conscience bourgeoise tentée par le néant faute de mieux et à sa démission fracassante du PC en 49. Il fallut attendre les années 90 pour qu’une universitaire américaine s’intéresse de plus près à la renégate au cours de ses recherches sur les Sartre-Beauvoir et le féminisme. L’occasion pour Dorothy Kaufmann de rencontrer Dominique Aury, l’auteur d’Histoire d’O, qui lui confie le secret de leurs amours et un sac rempli de documents personnels inédits. Une autre Edith apparaît alors. Celle qui avoue être déchirée entre son cerveau d’homme et son corps de femme, souffre de tuberculose mais rêve de prendre les armes aux côtés des républicains espagnols. L’amoureuse qui se dévoile par écrit à travers de délicieux vouvoiements mais lit Montherlant, ce monument de misogynie, pour exorciser ses fantasmes post-pubères d’immolation sur l’autel du mâle. Et puis, Anne-Marie, la prostituée dominatrice d’Histoire d’O, en laquelle Dorothy Kaufmann finit par déceler la chartiste aux deux visages avant de faire publier ses textes chez Viviane Hamy en 95.
Edith Thomas, passionnément résistante de Dorothy Kaufmann - Traduit de l’anglais (États-Unis) par Danielle Wargny, Autrement, 268 pages, 20 €
Domaine étranger Portrait d’une renégate
avril 2007 | Le Matricule des Anges n°82
| par
Françoise Monfort
Un livre
Portrait d’une renégate
Par
Françoise Monfort
Le Matricule des Anges n°82
, avril 2007.