Arne Lygre est un jeune dramaturge et nouvelliste norvégien. Il propose une autre façon de raconter une histoire et nous indique, dans une didascalie de départ, la règle du jeu qu’il utilise pour Homme sans but : « La pièce utilise deux perspectives narratives. Les personnages se servent tantôt de l’une, tantôt de l’autre, puisqu’ils interrompent par moments leur discours pour intervenir d’une manière plus distanciée, à la troisième personne (…) » Ces passages, imprimés en gras, indiquent en outre des sauts temporels. C’est dans ce frottement entre un dialogue et une pensée distanciée, le tout enveloppé de silences, que naît cette impression de flou, d’irréalité. On a la sensation d’être dans un monde virtuel, où tout serait rendu possible grâce à l’argent, où tout s’achète avec de petites enveloppes distribuées chaque jour.
« J’ai besoin de me lancer dans autre chose./ Quelque chose qui pourrait ne pas réussir. » Peter, un architecte de talent, décide de jouer sa fortune pour bâtir une ville sur un site exceptionnel. Peter est le seul à être nommé dans la pièce. Les autres sont des figures, Frère, Femme, Fille, Sœur, Propriétaire/Assistant. Et sauf peut-être Sœur, ils sont tous liés à l’argent de Peter. Ils se disputent sa possession. Peter achète, les autres se vendent. Le trouble grandit. Peter s’est-il aussi acheté une famille ? Quel rôle chacun joue-t-il ? Il n’y a plus que la mort qui puisse bousculer ce désir de toute puissance. La mort de Peter d’abord, puis celle d’une enfant. « Il y a une enfant morte sur la pelouse./ Ça aussi c’est du jeu ?/ Ça ne fait pas partie du jeu ? De s’avouer qu’on joue ? » Arne Lygre nous livre une œuvre tendue, mystérieuse, qui interroge le rapport à la disparition, à la destruction, être quelqu’un ou n’être personne, même vivant, comment ça se raconte ?
* Homme sans but est à l’affiche du théâtre de l’Odéon à Paris jusqu’au 10 novembre dans une mise en scène de Claude Régy.
Homme sans but
Arne Lygre
Traduit du norvégien par Terje Sinding
L’Arche, 94 pages, 11 €
Théâtre N’être personne
novembre 2007 | Le Matricule des Anges n°88
| par
Laurence Cazaux
Un livre
N’être personne
Par
Laurence Cazaux
Le Matricule des Anges n°88
, novembre 2007.