Les déflagrations de Villiers-le-Bel sont sans rapport avec une « crise », avec les difficultés ou injustices vécues dans les cités. Le Président ne veut pas même en entendre parler. Non, s’il y a eu affrontements de rue, c’est le fait des délinquants. Ceux-là prennent pour prétexte un accident de la route ; un accident regrettable, certes, mais dénué de lien, même symbolique, avec de prétendues brutalités policières. Considérez qu’à l’inverse, nos policiers font ce qu’ils peuvent, vraiment tout ce qu’ils peuvent, pour maintenir l’ordre et la légalité, et ce sans même répondre aux agressions dont ils sont victimes ; considérez attentivement qu’on leur tire dessus, qu’ils ont les assaillants dans leur viseur, ET QU’ILS NE TIRENT PAS. Sang-froid admirable, qui mérite assez qu’on leur octroie une prime de 400 euros : qu’on ne s’étonne pas si un jour ou l’autre ils perdent ce sang-froid, et qu’on ne dise pas après qu’ils en seraient coupables, je crois avoir montré qu’ils ont fait leur possible pour ne pas répondre aux provocations.
La grève des transports publics ne peut être imputée aux conditions de vie des cheminots, qui ne sont pas si dures que cela. Elle n’est pas non plus la réponse légale à une brutale rupture de contrat effectuée par une société qui prétend pourtant placer la forme contractuelle au firmament apaisé de l’ordre social : de cela, les journalistes ne parlent d’ailleurs pas. Ils ont flairé le subterfuge. Ils ont compris que si les grévistes agitent le chiffon rouge des acquis sociaux, ils sont en réalité agités par la rage archaïque du conflit, la passion dévastatrice du blocage.
Il faut alors dévoiler nos belliqueux dans leur appétit de destruction : « les commerçants sont les premiers touchés » (France Info), on déplore de nombreux « dégâts collatéraux » (France 2), apportons toutefois une « bonne nouvelle sur le front des grèves » (BFM TV). Car le correspondant de guerre a ici consciencieusement choisi son camp : c’est celui de la victime, l’usager. N’allez pas imaginer que la principale pression qui s’exerce sur lui est celle du travail ; n’allez pas imaginer qu’il encaisse le coup des trajets accumulés, qu’il subit les blessures de la concurrence. Bien au contraire, c’est de ne pouvoir jouir comme d’ordinaire de cette concurrence, c’est de ne pouvoir effectuer le trajet jusqu’à son terme dont il souffre. C’est ne pas travailler qui le travaille.
La critique raisonnée du pouvoir ne doit pas être confondue avec les formes irresponsables de l’insulte. En couverture du Plan B d’octobre-novembre, à côté du portrait du Président, éclatait en gros caractères le titre suivant : Une gueule qu’on aimerait écraser à coups de tatane. Certains lecteurs viennent d’écrire au bimestriel leur stupéfaction : quand bien même l’agression ne serait ici que verbale, quand bien même elle constituerait une réaction compréhensible et libératrice à des brimades effectives, et quoiqu’il soit admis voire conseillé de haïr le sarkozysme de toutes ses forces, on ne saurait loger ces forces ailleurs qu’en notre esprit. Certes pas dans une pulsion de vandale : voilà des mots qui cognent comme une « matraque », une encre qui coule comme certains « ensanglantent » les manifs, un défouloir des plus « primaires ».
Résumons. La barbarie est un mot qui ne peut plus être employé pour caractériser l’action des institutions. On le réservera aux agissements des individus isolés ou des groupes qui n’exercent aucun pouvoir - voyous qui disent répondre à l’oppression policière et preneurs d’otages qui prétendent exercer leur droit de grève. Le message est entendu jusqu’à l’extrême gauche : après avoir rebaptisé casseurs ceux qui perturbaient ses défilés, elle s’inquiète maintenant des coupables débordements du langage. Ce n’est pas seulement qu’elle manque d’humour, c’est que certaines éventualités lui échappent. Comme celle-ci : celui qui nie les heurts sociaux et qui ne sait que leur opposer la force brute, peut-être est-il légitime de vraiment lui écraser la gueule.
PS : Aux victimes 2007 de cette chronique aveugle - contremaître éclairé, écrivain-rock aux ordres, pimpants notables de l’anti-nazisme -, on offre pour Noël un gain de temps : ce mois-ci, il suffit de lire les cinq derniers mots pour s’indigner.
Avec la langue La tatane magique
janvier 2008 | Le Matricule des Anges n°89
| par
Gilles Magniont
Le langage de la violence en son bon usage (ceux qui peuvent s’en saisir, ceux qui doivent l’éviter).
La tatane magique
Par
Gilles Magniont
Le Matricule des Anges n°89
, janvier 2008.