Nos ignominies contemporaines, nous les commettons sûrement avec la même bonne foi et la même inconscience que ceux que nous fusillons rétrospectivement. Essayons tout de même de deviner de quels crimes il pourrait s’agir, dès lors que nous respectons scrupuleusement les femmes, les homosexuels, les juifs, les non-fumeurs et les enfants « . Ce à quoi s’applique gaiement Michel Thévoz. L’Heure d’hiver ouvre sur un nouveau parc jurassique, des transactions obscènes du capitalisme (comme le clonage du Louvre à Abou Dahbi) jusqu’aux affectations rurales de l’urbanisme ( » Toutes les fontaines sont belles, sauf les fontaines artistiques « ) : autant de formes d’un engourdissement de l’esprit occidental ici chroniquées. Autrefois conservateur de la collection d’Art Brut de Lausanne, l’auteur est particulièrement sensible aux » analphabétismes visuels « et aux ravages de l’Institution Culturelle. Certaines de ses détestations flirtent alors avec le poncif (l’omniprésence de la musique…) et quelques développements sont un peu dissertatifs ; mais l’on tombe parfois sur des joyaux imprévisibles et paradoxaux, telles les pages sur l’overlifting : Thévoz commence par décrire cette nouvelle pratique (se donner une apparence plus âgée, plus laide) avant de l’analyser (chirurgie punk ? défi au vieillissement ?), puis d’avouer qu’il a tout inventé, mais qu’il ne s’est guère éloigné de l’essence du lifting (déjà une » scarification de visages pâles, l’autopunition de la race blanche « ), et qu’il a peut-être même donné des idées à certains (l’information déterminant aujourd’hui la réalité plus qu’elle ne la reproduit). Voir encore le chapitre consacré à l’ » âge ontologique « auquel chaque individu reste vissé : quarante ans pour les partisans de l’ordre ( » c’est l’âge sarkozyste « ), soixante-dix environ pour ceux qui tirent parti d’un état » d’inexistence sociale, d’invisibilité, de légèreté et de gratuité " - suivez son regard.
L’Heure d’hiver de Michel Thévoz
Éditions Favre, 208 pages, 15 €
Essais L’âge de ses chroniques
avril 2008 | Le Matricule des Anges n°92
| par
Gilles Magniont
Un livre
L’âge de ses chroniques
Par
Gilles Magniont
Le Matricule des Anges n°92
, avril 2008.