Un autre monde serait-il encore possible ? Depuis quelques années, associations et mouvements divers tentent de penser contre - l’ultralibéralisme, l’accroissement des inégalités, l’Empire américain… Le paysage éditorial, parallèlement, s’est enrichi : les éditions Agone, La Fabrique, ou encore Amsterdam renouvellent les pistes de réflexion, à la gauche - extrême parfois - de l’échiquier politique. Les Prairies ordinaires, depuis 2005, ont elles aussi pour ambition de nous aider à affronter - et modifier - notre monde. Rémy Toulouse, après des études d’histoire, a choisi la voie de l’édition. Il travailla un temps pour les défuntes éditions Flohic avant de s’atteler à cette nouvelle tâche. Dès l’origine la démarche se veut interdisciplinaire, à l’intersection de la sociologie, de l’histoire, de la philosophie, de la théorie littéraire et de la réflexion politique. Dialogues et confrontations, pas de côté, vision décalée : la première collection s’intitule judicieusement « Contrepoints » et propose des entretiens qui mettent en relief des parcours singuliers. Arlette Farge, interrogée par le compositeur Jean-Christophe Marti, explique ce qui la mena, progressivement, à prendre pour objets d’étude ce que les historiens, jusque-là, négligeaient : les mémoires confisquées du peuple sous l’Ancien régime, les émotions des femmes ou des marginaux. Pierre Bergounioux, lui, entre la colère et le désespoir, dresse un bilan funèbre de notre système éducatif : après avoir enseigné, sa vie durant, dans ce « collège unique » qui se voulait égalitariste, il peut déclarer École : mission accomplie. Mais de quelle mission s’agit-il ? « L’ouverture de l’enseignement secondaire, loin d’ouvrir à tous les trésors de la culture générale, a scellé leur répartition inégale, en l’absence de réformes sociales ». L’éditeur Éric Hazan ou la sociologue Véronique Nahum-Grappe se prêtent eux aussi à de tels entretiens au long cours, autobiographies à plusieurs voix.
On retrouve dans la deuxième collection, « Essais », certaines de ces préoccupations : Philippe Artières, ainsi, nous livre ses Rêves d’histoire. Il s’agit, entre Perec et Borges, de projets d’études improbables, labyrinthiques, démesurées - pour une « histoire de l’ordinaire ». Que nous révélerait une « histoire politique des routes » ? Que pourrait être une histoire des « vies ratées », de ceux à qui, par exemple, « à l’issue de l’entretien et de la visite médicale, on refusait l’entrée sur le territoire » au moment où, à Ellis Island, ils croyaient atteindre enfin leur Terre promise ? Dans un livre paru plus récemment - peut-être est-ce là une manière décalée de « fêter » mai 68, au-delà de la bavarde célébration convenue ? - le même Philippe Artières et le philosophe Mathieu Potte-Bonneville décrivent les territoires que nous pouvons aujourd’hui explorer après et surtout D’après Foucault. Territoires à la fois d’études et de luttes - car c’est bien la ligne directrice qui sous-tend de manière...
Éditeur Les fruits de la colère
juillet 2008 | Le Matricule des Anges n°95
| par
Thierry Cecille
Réserve de munitions pour les affrontements politiques de demain, Les Prairies ordinaires, fondées par Rémy Toulouse, nous offrent des boîtes à outils conceptuels, variées et parfois surprenantes.
Un éditeur