Même sous un ciel de printemps, la prison est un précipice, et ses occupants, détenus ou surveillants, des funambules. Ils cohabitent sur une corde raide. « L’univers carcéral était un vide sidérant dans lequel Benji tournoyait sans pouvoir se raccrocher à rien ». Effondré par son placement en quartier disciplinaire, Benjamin Tricot - Benji - est le personnage le plus fragile, le plus désorienté de Nan Aurousseau, l’auteur des très remarqués Bleu de chauffe et Du même auteur. « Un agneau dans la fosse aux tigres déchaînés » que ce garçon, étudiant en lettres sans antécédent judiciaire avant cette idiote affaire de stupéfiants qui lui vaut, par une erreur du greffe, d’être écroué. Ses voisins de cellule sont des fauves en cage, « graine de mafia », précoces « criminels endurcis », « petits tueurs dénaturés et sans âme », sans compter ces « barjos » et autres psychopathes qui s’enfoncent ici dans leur folie au lieu d’être pris en charge par des établissements spécialisés.
Il privilégie l’histoire au réquisitoire
Sans les juger ni les justifier jamais, Aurousseau se penche sur quelques-uns de ces détenus qui se retrouvent au mitard, cette prison dans la prison, pour cause de mutinerie. Nous voilà donc projetés dans une réalité carcérale racontée tour à tour, depuis leur cellule d’isolement, par Djet, Tox et Metal. À tour de rôle, ces fortes têtes dévoilent un peu de leurs impressions, un pan de ce qui est maintenant leur vie, entre les murs. « L’énorme pression psychologique, le poids des murs et l’architecture carcérale, la rigidité d’acier du règlement, les agressions incessantes, les fouilles à corps, la promiscuité cellulaire », de tout cela, donc, les personnages de Nan Aurousseau sont tantôt les acteurs tantôt les spectateurs. À travers leurs regards et leurs ressentis, on entre de plain-pied dans ce milieu clos où rien ne peut incuber que la haine et le ressentiment. « Saisi de vertige », le jeune Benji a tôt fait de comprendre ce que les autres, habitués qu’ils sont déjà à ces lieux, savent depuis longtemps : « La violence était partout dans les rapports, aussi bien entre les détenus qu’avec le personnel de surveillance ». Dans ces conditions, seules deux espèces d’individus survivent derrière les barreaux : ceux qui deviennent « fort parmi les forts » et les autres, « inertes mentalement ».
Le procédé des portraits croisés adopté par Aurousseau a beau être connu, la combinaison des voix ainsi que l’enchâssement de ces destins individuels lui permettent de ne jamais tomber dans le discours édifiant. Et soyons francs, il s’en faut parfois de peu. Préférant raconter cette machinerie pénitentiaire de l’intérieur, il privilégie l’histoire au réquisitoire, les hommes aux concepts. La narration l’emportant ainsi sur la démonstration, le romancier ne sert que mieux son propos : donner à voir ce milieu que l’on croit connaître mais qu’on ne connaît pas, à moins bien sûr d’y avoir soi-même séjourné. C’est le cas de l’auteur qui, il n’avait pas 20 ans alors, a passé sept ans sous les verrous après un braquage foireux.
La façon dont le temps pèse et tourne sur lui-même jusqu’au vertige, la rumination perpétuelle, la sorte de « coma artificiel » auquel pousse ce système punitif, les règles, les rouages, les seuils à ne pas franchir, les souffrances à ravaler, Aurousseau dévoile tout cela, sans négliger l’action de ceux, éducateurs ou gardiens, qui tant bien que mal tentent, d’un geste ou d’un mot, d’humaniser ces lieux qui semblent ne pouvoir l’être. Écrit dans l’empathie, dépourvu on l’a dit de jugements et d’épanchements, ce roman parfois aux lisières du documentaire est à sa manière une réflexion sur ces enfers moites qu’entretiennent, honteuses, nos si modernes sociétés.
Le Ciel sur la tÊte de Nan Aurousseau
Stock, 204 pages, 16 €
Domaine français Entre les murs
février 2009 | Le Matricule des Anges n°100
| par
Anthony Dufraisse
Le Ciel sur la tête, de l’ex-taulard Nan Aurousseau, ou la plongée dans le quotidien carcéral. Bienvenue en enfer.
Un livre
Entre les murs
Par
Anthony Dufraisse
Le Matricule des Anges n°100
, février 2009.