Un peu fille du vent, un peu chercheuse d’étoiles, Claude Dourguin incarne cette forme de poésie vécue qui naît de l’empoignade avec la réalité élémentaire. Témoin des amours de la terre et de la mer, du jour et de la nuit, elle cherche à renouer avec la conscience première d’exister, d’être là, au cœur même d’une commune présence. C’est pourquoi elle aime les chemins de traverse (elle vit en Haute-Provence), les lieux à l’écart, les voies dérobées. Une forme d’égarement propice au rêve, à l’exploration du sensible, dont témoignent bien des titres de son œuvre : La Forêt périlleuse, Écarts, Un royaume près de la mer, Escales (tous chez Champ Vallon), et aujourd’hui Laponia et Les Nuits vagabondes.
Dans ce dernier livre de proses, Claude Dourguin (qui a collaboré à l’édition de Julien Gracq dans la Pléiade - ce qui ne saurait tromper) évoque le souvenir des nuits qu’elle a passées à dormir à l’auberge de la lune, sous le « ciel bleu infusé d’ébène ». Voyageant léger, se laissant guider par son instinct ou par la magie propre aux lieux, elle a fait de ces tête-à-tête singuliers avec la nuit, des moments d’échange, voire d’osmose, avec la respiration de l’univers. Une forme de participation et d’accord musical avec ce qui rythme et lie ensemble l’éphémère et l’éternel, les pierres et les étoiles, l’ouvert et l’infini.
Le choix du site fait - orée d’un bois, bord de mer, pelouse à thym, niche herbeuse -, il ne lui reste plus qu’à se laisser envahir par les harmoniques du soir. Nuits minuscules, nuits glaciales « qui laissent hagard », nuits italiques « pleines d’odeurs et de surprises », nuits marines, nuits montagnardes ou nuits d’inconfort en forêt (elle est trop riche d’une vie sourde où l’homme n’a pas sa place), elles sont toutes préférables aux sommeils « sans vue ni conscience » entre murs et plafond. Rien ne vaut ce plaisir d’aller à la rencontre du « miracle simple des dons », du spectacle des heures nocturnes ou du lever du jour sur la mer. Un monde goûté dans sa plénitude, ses faveurs fragiles, la conspiration de ses éléments soudain en phase avec notre inaltérable part d’innocence première.
Une forme vitale du bonheur, dit Claude Dourguin qui, toujours en quête des secrètes connivences qui font et défont les paysages, nous livre, dans Laponia, le récit de quelques-unes de ses traversées des terres Sâmes. « Lappinhullut », fou de Laponie, dit-on de celui qu’une « addiction sourde et puissante » ramène chaque année sur cette terre extrême. L’étendue comme en son état pur, « neige, ciel et couvert forestier, simplicité nue, composent seuls le paysage ». Magie des terres septentrionales, enchantement du voyage d’hiver, c’est avec le sentiment retrouvé de la liberté du nomade que C. Dourguin parcourt à skis la théâtralité désolée de paysages qui semblent littéralement la purifier.
Rien nulle part ne bouge, l’air est sec, comme décanté, la lumière « déheurée, pâle, comme amincie », le silence « rond, substantiel », la neige impose « sa tyrannie blanche » que modulent à peine parfois quelques pins arctiques ou quelques rennes « à fourrure grège ». On est aux limites de l’implantation humaine, dans « la substance blanche du temps, que la Merveille d’un coup d’éclat glacé a figé en paysage ». Expérience immédiate du monde par où s’éprouve à l’évidence, la vie même, dans son exacte simplicité, son précieux halo de présence et de mystère. Il y a là une candeur quasi incandescente, une attention si scrupuleuse, que c’est une véritable poétique de l’existence que Claude Dourguin nous invite à partager.
Nuits vagabondes et Laponia
de Claude Dourguin
Isolato, 72 et 80 pages, 14 et 15 €
Domaine français Envoûtements silencieux
février 2009 | Le Matricule des Anges n°100
| par
Richard Blin
Qu’elle évoque ses nuits à la belle étoile ou ses traversées de l’arctique finnois, c’est du sentiment de la présence du monde que témoigne Claude Dourguin.
Des livres
Envoûtements silencieux
Par
Richard Blin
Le Matricule des Anges n°100
, février 2009.