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Choses vues En compagnie de Penelope

juin 2009 | Le Matricule des Anges n°104 | par Dominique Fabre

De mois en mois je me promène dans le quartier de la porte d’Ivry et je vois des gens pour qui tout commence ici. Les mômes du collège Camille Claudel n’oublieront pas le boulevard des Maréchaux, entre la tour Ancône et la Ravenne, portes d’Ivry et de Choisy, les courses au Géant Massena, la halle Carpentier pour la gym et fumer des pétards, leurs copains sont maliens ou chinois. Leurs pères s’ignorent en général et fraternisent tous les dimanches aux Pmu. Quand j’étais petit le seul horizon de la route unique c’était la montagne et, question voyages, les caravanes des Gitans, ils passaient pour quelques jours, et circulaient sur la route de Genève, ou bien, descendaient vers l’Italie. Dans mon quartier où tout commence pour pas mal de gens certaines personnes font bonne figure, habillés à la dernière mode des magasins du coin. Par des portes entrouvertes aux rez-de-chaussée, on voit des femmes penchées toujours, leur vie mise en sourdine est avalée par le bruit des machines à coudre, de jour et puis aussi de nuit. Des types poussent des diables pleins de cartons, ou ils trimballent à deux des pendants comme dans les grands hôtels où seraient accrochés sur des cintres les habits de soirée des invités du festival du Grand nulle part (c’est ici !). Ceux qui font les poubelles le soir, avec des gants en plastique, pour vendre aux récupérateurs. Un soir, je suis rentré de chez un copain entouré dans mon wagon de la ligne 7 par une dizaine de Chinoises que j’ai souvent aperçues arpenter le trottoir dans le bas de la rue de Belleville, devant le restaurant le Président. Elles vont dormir porte d’Ivry. Parfois, juste avant de rentrer, elles se sont arrêtées regarder des breloques pas chères du tout. Le trottoir. Leur petite bouteille d’eau. Leur petit plat cuisiné qu’elles achètent à des vieilles dans la rue. L’argent envoyé là-bas. Et puis dormir. Et puis quoi ?

Au pied des tours de l’avenue de Choisy, une petite boutique désaffectée sert à l’étude du soir, et parfois, les bénévoles sont une institutrice retraitée avec chignon Jules-Ferry, ou bien des mères de famille qui viennent avec leurs courses et des bonbons, ou des types sans raison sociale apparente qui voudraient se rendre utiles. Au même endroit, devant les yeux de ces enfants, passe régulièrement en ce printemps la grande limousine blanche 12 places décorée de fleurs qui promène les jeunes mariés, lesquels, si tout va bien pour eux, rejoignent après la réception leur pavillon d’Ivry pour leur première nuit d’amour conjugal. Quand ça a commencé pour moi les DS Citroën devaient tenir le même rôle que la limousine blanche de location : jamais la moindre égratignure ! Les vitres sont teintées, aujourd’hui, c’est plus dur de s’imaginer. Tout près de Notre Dame de Chine, un groupe d’entraide entre les gens du quartier, et une association de bénévoles pour les échanges culturels entre Vietnamiens et Français (cuisine, danse folklorique, nunchaku, arts martiaux, langue française niveau 1, 2, 3 et avancé, traductions assermentées).

En ce moment, sur le panneau Decaux que je vois de ma cuisine, on a le beau visage de Penelope Cruz, pour le film d’Almodovar Étreintes brisées. À sept heures du matin, je l’ai vue tout émerveillé à la fin d’un rêve et une autre fois, moins, parce que Penelope Cruz elle-même ne suffit pas toujours à vous donner envie de se lever à sept heures chaque matin. C’est un mélo Étreintes brisées. J’en ai un dans la tête, à propos. Cette dame au pied d’Ancône un jour de la semaine dernière. Je l’avais aperçue plusieurs fois et on n’aurait jamais dû se parler si elle n’avait pas vu que je perdais mes clés par un trou dans la poche de ma veste. On a bavardé un peu. Oui, elle passait dans le quartier, elle restait là un moment. Elle avait vécu là longtemps, avec un homme. Maintenant elle habitait plus haut, vers les Gobelins. C’est joli les Gobelins. Un jour, il était parti sans explications. Il n’avait plus jamais donné signe de vie, ni à elle, ni à ses parents, ni à son employeur, ni à aucun de ses amis. Elle venait revoir les endroits où elle savait qu’il aimait bien, ou qu’il avait bien aimé. Un Cambodgien. Non, avec le temps, elle ne croyait plus qu’il allait revenir. Elle sentait qu’au contraire, il allait partir de plus en plus loin, alors elle finirait par ne plus revenir elle non plus. L’étreinte pour toujours brisée, pas encore brisée. L’étreinte. Son sourire pour excuser ma question et peut-être aussi sa folie. Au revoir, monsieur. Oui, au revoir. Et merci pour mes clés ! Je ne me suis pas retourné vers cette femme à qui, de ma cuisine, en vous racontant ça, Penelope Cruz sourit aussi sur l’affiche.

À part ça, six policiers pour arrêter deux enfants à la sortie de l’école (6 et 10 ans), pour un vélo même pas volé. Et puis, on a trouvé des terroristes à Forcalquier ! Ah non, c’en était pas ! On croit rêver. Fabre, j’avais un prof qui me disait ça : Fabre, on croit rêver ! Puis il levait les yeux vers le plafond, ou il hochait la tête, complètement dégoûté. Ce qu’il ne faut pas entendre ! À part ce grand réseau secret de l’ultra-gauche terroriste qui tracte sur le marché fruits et légumes de Forcalquier il y a aussi là-bas un festival de nouvelles à la fin août, où ce sera sans doute sympa d’aller faire son marché. En attendant on croit rêver. Sauf qu’on rêve pas. Alors bon. Que dire ? Que faire ? Vous avez une idée ? On aurait bien besoin je crois. Je vais arroser le rosier sur le balcon, et regarder Penelope Cruz sur son affiche qu’ils n’ont pas encore remplacée. En plus de l’actrice qui nous mate j’ai cinq belles roses qui sont en train de bien pousser. Et puis vous, et nous tous à la fois, alors en somme, c’est pas trop grave, ça va passer.

En compagnie de Penelope Par Dominique Fabre
Le Matricule des Anges n°104 , juin 2009.
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