Julián Ríos : les romans de Lady Di
Trois amis se sont réunis au restaurant Chez Francis sur la place de l’Alma : Mons, le peintre, Herz le galeriste et Emil le narrateur. Carrion le paparazzo manque à l’appel, occupé non loin. Nous sommes le soir du 31 août 1997 et tout près de là une puissante berline noire s’engouffre à pleine vitesse sous le tunnel de l’Alma : Lady Diana vit ses derniers instants.
La mort de Diana constitue un morceau de réalité de choix pour le romancier espagnol. D’abord parce que cette réalité est tissée de fictions (que s’est-il réellement passé ?), de fanatisme (Ríos croque des portraits saisissant de dianamaniaques), de signes surtout (qui disent autant le monde actuel que ses chimères) et parce qu’il est un événement planétaire au centre duquel l’homme de Londres ne peut pas ne pas voir et la femme et cette capitale si profondément aimée dans Larva.
Du coup, dans Pont de l’Alma Julián Ríos déploie une palette kaléidoscopique aux effets ébouriffants. Plutôt que de suivre la seule piste du mystère (accident ? Assassinat ?), Julián Ríos s’empare des lieux (Paris, la Normandie, Mantes sur Seine, Londres), de l’Histoire et d’une forme de jubilation des hasards pour tisser autour de la flamme du souvenir tout un réseau de fictions, de songes, de pensées qui tournent dès lors autour de l’événement comme autant d’atomes affolés. Une manière pour l’écrivain de convoquer ses leitmotive intimes : la mémoire, la peinture, les lieux.
Toutes les fictions (qui n’en sont parfois pas) nous sont rapportées par un double filtre : c’est souvent le narrateur qui rencontre quelqu’un qui lui raconte quelque chose. Dans ce relais narratif, la phrase de Ríos se déplie, joue parfois avec les assonances et les allitérations, se permet de petits entrechats ludiques (« Times is Monet », « Eros c’est la vie », sur la scène navigue un « bateau louche », etc.) mais conserve une élégance aristocratique. Nous sommes dans la littérature à chaque ligne, puisque malgré la présence absente de Diana, Pont de l’Alma à aucun moment ne se fait le miroir du monde, mais bien le miroir d’un reflet artistique et littéraire du monde. D’où l’évocation des figures de Céline, Monet, Miró et d’autres morts encore, célèbres ou anonymes, réels ou fictifs, qu’un fil, ténu parfois, rattache à la princesse défunte. On aimerait peut-être plus d’unité, ou, plus exactement, que Ríos fasse de chaque fiction un roman entier : ainsi de l’hallucinant quatrième chapitre, « Opération Dent » qui explore avec la paranoïa d’un Thomas Pynchon l’hypothèse du complot. On y croise un ancien champion automobile, au visage brûlé et prénommé Nicky, auquel est confiée une Fiat Uno surpuissante afin qu’il intercepte sa cible sous le tunnel de l’Alma. Avec l’épisode des sosies sur le bateau-mouche qui précède ce chapitre, on baigne dans une modernité à la Bret Easton Ellis qu’on n’attendait pas de Ríos. Mais la palette de l’écrivain est riche en couleurs, et son évocation poétique de Miró, celle à la Poe du...