Je n’appellerai pas routine la chose actuelle : la routine apprivoise et endort les sens. Alors que cet autobus, chaque matin et chaque nuit, ponctue de sursauts ma vie. « Le roman de l’Argentin Antonio Di Benedetto est le bref récit un brin rêche d’une lente descente aux enfers, celle d’un homme de bureau sans imagination qui supporte de moins en moins les bruits. Un bus, un bar, un atelier de mécanique, une mouche ou une musique qui bourdonne… L’anti-héros du Silenciaire est un homme contrarié, qui aime une jeune fille et en épouse une deuxième, et qui fréquente une sorte de parasite pédantesque, Besarión, double grotesque de lui-même. Ou encore, un bernard-l’ermite anthropomorphe en quête de coquille et en »croisade métaphysique « contre le bruit. L’auteur nous livre une fable héroï-comique qui pourrait s’appeler »un toit à soi « , et qui n’échappe pas toujours à l’anecdote, mais a le don de titiller le lecteur. Histoire peut-être de dire à celui-ci de prêter attention à ce qui l’entoure, autant que manière de signifier qu’il n’y aura bientôt plus guère d’endroit »habitable « . On lit un agaçant mais fascinant petit précis de la promiscuité et de la psychopathie ordinaires, le texte fonctionnant comme un délicat appareil enregistreur des troubles imperceptibles. Dans le monde de notre personnage, dont les frontières progressivement et dangereusement s’amenuisent, chaque événement (la chute d’une pédale de piano, des pierres contre le portail, la musique d’une radio) entraîne une reconfiguration intégrale de ce monde. C’est la chronique d’une défaite annoncée et d’un retournement assuré : le gêné deviendra »l’ennemi du progrès « et l’empêcheur de respirer en rond, disant à sa femme »Ne me fournis pas de matière à penser. Les pensées m’empêchent de dormir ". Celui qui, se détournant peu à peu de la vie et de son projet d’être écrivain, se retranche dans sa petite dictature intérieure, devient l’incendiaire du bruit…
le silenciaire
d’antonio di benedetto
Traduit de l’espagnol (Argentine) par Bernard Tissier
José Corti, 191 pages, 20 €
Domaine étranger Le silenciaire
mars 2010 | Le Matricule des Anges n°111
| par
Chloé Brendlé
Un livre
Le silenciaire
Par
Chloé Brendlé
Le Matricule des Anges n°111
, mars 2010.