Héléna Danec est morte seule dans son appartement parisien. Rien ici ne laissait supposer qu’elle fut une détenue parmi d’autres à la prison de la Petite Roquette. Cinq ans pour avoir volé des bijoux, et pour avoir refusé de prononcer le nom de l’homme qui l’accompagnait. Du haut de ses vingt ans, elle était restée muette pendant l’interrogatoire. Quelques mois plus tard, le 16 novembre 1967, dans l’infirmerie de la Roquette naît Angèle. Elle sera élevée par Mila, sa grand-mère maternelle, une ancienne danseuse de cabaret. « Ma mère arriva dans ma vie à pied. C’est moi qui ouvris la porte. Je venais d’avoir cinq ans. Elle était grise comme la pierre, elle avait un regard froid et des yeux de feu. (…) A compter de ce jour, je ne fis plus aucune différence entre l’absence et la mort. Celle qui arrivait ne pouvait être Héléna ».
Le premier roman de Judith Perrignon s’ouvre sur des lettres à sens unique, celles de Mila auxquelles jamais, du fond de sa cellule, Héléna ne répond. Puis viennent vingt ans plus tard, les lettres d’Angèle, écrites au chroniqueur judiciaire qui suivit le procès. « La femme amoureuse a ceci de troublant qu’elle est une proie et aussi une force. La cour n’a pas aimé qu’on lui résiste. » La lettre devenue confessionnal est le sésame pour ouvrir les univers, partir à New York, retrouver le père d’Angèle. « Il y en avait toujours un, sur le pont, pour crier subitement « L’Amérique ! » lorsqu’un point minuscule se dessinait sur l’océan. Et j’ai eu envie de crier moi aussi, envie de dire depuis le pont, J’y suis ! ». Bien qu’il élargisse le cercle des épistoliers avec l’entrée en lice du journaliste vieillissant Victor, le roman tient du huis clos, ressassant les mêmes événements, repris par les différents personnages. Toutes ces voix finissent par ne former qu’un seul son, intimiste et profond, lyrique et juste. C’est dans cette tension permanente, entre le journal intime, la lettre, et un ailleurs plein de promesses, que tient la réussite des Chagrins.
Virginie Mailles Viard
Les Chagrins
Judith Perrignon
Stock, 204 pages, 17 €
Domaine français Les Chagrins
novembre 2010 | Le Matricule des Anges n°118
| par
Virginie Mailles Viard
Un livre
Le Matricule des Anges n°118
, novembre 2010.