En sélectionnant cent cinquante unes du supplément dominical du Petit Journal, haut lieu de la gravure en couleur à partir de 1890, Bruno Fuligni a fait un coup à plusieurs bandes : tout en mettant en évidence la beauté des gravures d’un journal petit-bourgeois de la Belle-Epoque – coup de chapeau aux artistes qui produisaient ces gravures hautement calculées et bigrement efficaces –, il a souligné le caractère populacier de la presse qui, tout en arrivant à son Âge d’or, n’a rien perdu des caractéristiques du « canard sanglant » d’Ancien Régime et a involontairement dévoilé la source majeure d’inspiration des surréalistes.
Si en 1890 et durant les décennies suivantes, on se régale toujours des faits divers (duels, noyade, vitriolade, accidents de trains, etc.), de l’existence des grands de ce monde (« people », têtes couronnées, Affaire Dreyfus) ou des curiosités anecdotiques (femme encagée avec des lions, batailles entre peuples exotiques, étonnante vie coloniale, éléphants en liberté dans les rues, etc.), c’est que, au fond, rien n’a été déplacé des profondeurs de l’homme par l’irruption des techniques. En attendant, le XIXe siècle a été riche pour la presse : techniques d’impression, fabrication du papier, diffusion, etc. ont tellement évolué que le Petit Journal peut créer des images colorées, puissantes comme jamais, inoubliables.
Les première et quatrième de son supplément du dimanche étaient attendues et discutées à l’heure de l’absinthe apéritive au café. Certains notamment ne s’en sont jamais remis : ils se sont appelés surréalistes et, à bien regarder les images réunies par Bruno Fuligni, ils n’étaient en somme que des périréalistes. Après avoir dépouillé papa de sa bibliothèque romantique, ils lui ont piqué ses images et ses totems. À commencer par le revolver dont la puissance exprimée par l’image en faisant un outil quasi divin, les femmes fatales, les éclats lumineux des lustres, la fascinante violence des apaches et des anarchistes, le hasard soufflé par les déraillements. À coup sûr, l’œuvre du grand Robert Desnos est fruit de ce monde de gravures comme de celui des Halles.
Éric Dussert
Les Frasques de la Belle Époque
Bruno Fuligni
Albin Michel, 241 pages, 39,90 €
Domaine français L’origine du périréalisme
janvier 2013 | Le Matricule des Anges n°139
| par
Éric Dussert
Un livre
L’origine du périréalisme
Par
Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°139
, janvier 2013.