Jon Kalman Stefansson, l'Islande au cœur
Les narrateurs des trois romans de Jón Kalman Stefánsson traduits en français évoquent souvent l’importance des mots. La manière avec laquelle ils peuvent donner un sens à la vie, avec laquelle ils peuvent sauver, ou condamner, une vie. De même, si « le gamin », ce héros innocent, Bárður son seul ami et le capitaine Kolbeinn consacrent une grande part de leurs pensées aux livres, ils ne sont pas les seuls. Et dans les fermes les plus englouties sous la neige, la tempête et la solitude, il est toujours quelques livres, poèmes ou contes islandais, quelques imprimés, revues et journaux, pour donner au plus humble des paysans un accès au monde extérieur autant qu’au rêve. La littérature et la poésie avec elle affirment ici un pouvoir semblable à ce qui maintient les êtres en vie, dans la blancheur glaciale d’un début de printemps polaire : une vareuse, un bol de café, le désir. Presque rien donc, mais sans quoi le cœur s’arrêterait de battre, le sang de circuler.
L’écrivain islandais se prête très humblement au jeu des questions, avec cette délicatesse qu’on entend à chaque page de ses livres. Quelque chose comme une intelligence du cœur.
Vous avez commencé à publier de la poésie, mais très vite vous vous êtes dirigé vers la prose. Avez-vous abandonné la poésie ou est-elle entrée dans votre prose ?
Je voudrais parfois croire que les poèmes sont inclus dans la prose, et il me semble que j’ai raison dans une certaine mesure, mais pas entièrement. Un bon poème est synonyme de profondeur et même ceux qui paraissent les plus simples en surface recèlent en réalité un univers intérieur complexe : voilà pourquoi nous pouvons les lire et les relire sans cesse. Nous lisons et percevons ce qui est dit entre les mots, et qui tient à la beauté, à la sagesse, au danger, à la douleur, au soupçon. Le poème est, dans sa nature, irrationnel, c’est ce qui fait sa force. Il ne fait pas appel à la logique, ne se conforme pas aux raisonnements habituellement reconnus comme valides et peut, par conséquent, nous conduire vers des mondes inattendus. Il est difficile d’atteindre toutes les dimensions du poème dans la prose, mais la chose est possible, et ce à quoi je m’efforce constamment, bien que souvent de manière inconsciente, c’est d’étendre le domaine de la prose par le moyen du poème et ainsi, de l’enrichir. Le roman a besoin du poème. Cela dit, on ne peut pas aller jusqu’au bout, jusqu’à transformer la prose en véritable poésie, mais on peut en conserver la force et les caractéristiques : en outre, on peut espérer susciter une sorte de tension entre prose et poésie, on peut espérer enrichir le roman par le biais de l’irrationalité présente dans le poème.
En France, nous ne pouvons lire de vous que votre trilogie romanesque. Pouvez-vous nous parler de vos autres livres ? Quel genre de poésie avez-vous publiée ? Que racontent vos nouvelles ? Vos romans ?
Oh la la, ce sont là les questions auxquelles il m’est toujours le...