Des monstres et littéraires, donc, nous dit le titre. On ne pourra guère, sur ce point, accuser Jérôme Orsini de mentir sur la marchandise, tant le livre applique avec fidélité son titre programmatique. Il s’agit d’un recueil de nouvelles harmonisé par le recours à un subterfuge classique, consistant à introduire l’ensemble des courts textes du recueil par un prologue où un personnage que l’on suppose fictif nous explique que ce que nous nous apprêtons à lire est le résultat du secret travail littéraire d’un autre personnage fictif, ami du premier. Orsini prétend ici faire œuvre métalittéraire, n’ayant dès lors pas peur de s’armer de références qui le sont déjà elles-mêmes, cadors même du genre, Borges, Vila-Matas et Bolaño en tête de peloton. On pourra ajouter au fur et à mesure de l’avancée d’un livre déployant un univers fantastique très (trop ?) balisé, Silvina Ocampo ou Cortázar pour continuer dans la veine latino, mais également une certaine ambiance mitteleuropa, vaguement kafkaïenne.
La langue élégante et classique sert le propos intemporel de l’auteur, mais l’ouvrage, pourtant, ne décolle jamais vraiment, restant bien souvent trop sage. L’univers d’un quotidien qui tout à coup dérive, ces réflexions à demi esquissées sur la nature des histoires, ces êtres mystérieux que l’on suit dans la rue, cette recherche d’une chute pour justifier le parcours, tout cela nous l’avons déjà lu, plus d’une fois, souvent en mieux. Nombre de nouvelles ressemblent à des ébauches d’idées plus qu’à de véritables réalisations. Le lecteur attend le moment où la machine se grippera, où elle prendra enfin un peu de hauteur par rapport à son sujet (autrement dit ses références littéraires, puisque c’est là ce qui semble constituer le seul sujet du livre). L’auteur, pour tout dire, semble s’être arrêté à mi-chemin. La littérature ici n’a finalement pas grand-chose de monstrueux, s’y trouvant trop bien peignée pour cela.
Guillaume Contré
Des monstres littéraires
Jérôme Orsini
Actes Sud, 170 pages, 19 €
Domaine français Des monstres littéraires
avril 2015 | Le Matricule des Anges n°162
| par
Guillaume Contré
Un livre
Par
Guillaume Contré
Le Matricule des Anges n°162
, avril 2015.