Jamais plus ! Jamais plus ! » scandait le corbeau d’Edgar Allan Poe. En effet jamais plus ne reviendra l’épouse décédée, la mère de deux enfants fort polissons. Les voix de ses derniers alternent avec celle paternelle, et celle de qui « porte un costume de plumes ». Le corbeau est l’un des animaux les plus doués d’intelligence ; et ici d’empathie, au service du travail de deuil.
À travers la prosopopée, cette figure de rhétorique qui fait parler les animaux, il commente l’histoire familiale dans un style saccadé, des onomatopées, avec un humour macabre : « J’étais excuse, ami, deus ex machina, blague, symptôme, fiction, spectre, béquille, revenant, jouet, bâillon, psychanalyste et baby-sitter ». Il est également un brin philosophe, et l’allégorie de la « Douleur » du titre, donc le fantasme post-traumatique du père, qui écrit un livre sur le poète qui fut marié avec Silvia Plath : « Ted Hugues, le Corbeau sur le divan, une analyse sauvage ». Ce que confirme sans ambages la bête pas si bête, qui prépare ses « mémoires littéraires de haut-vol » et soigne ses métaphores psychanalytiques : « un soupçon de plumage noir et l’odeur de la mort. Ta-daa ! C’est le centre pourri, le Grünewald, les clous dans les mains »…
Éditeur chez Granta et Portobello, Max Porter est né en 1981. Sa fable polyphonique ne demande qu’à être illustrée par un graphisme aussi ébouriffant que le plumage de son volatile. On ne sait si l’on a sous les yeux un court roman, une novella comme disent les Anglais, ou quelque chose qui s’apparente au conte de fées et approche du poème en vers libres. Qu’importe, ce récit fantastique original et parfaitement fantaisiste, à ranger non loin d’Alice au pays des merveilles, dégage une poésie suggestive, une fantaisie débridée, un charme noir non pareil.
Thierry Guinhut
LA DOULEUR PORTE UN MASQUE DE PLUMES
DE MAX PORTER
Traduit de l’anglais (Grande-Bretagne) par Charles Recoursé, Seuil, 14,50 €
Domaine étranger La Douleur porte un costume de plumes
mars 2016 | Le Matricule des Anges n°171
| par
Thierry Guinhut
Un livre
Par
Thierry Guinhut
Le Matricule des Anges n°171
, mars 2016.