Il fut un temps lointain où les chevaux transportaient les hommes, où les bateaux déversaient sur la rade des marins gorgés d’aventures, où le colonel comme tous les colonels qui l’avaient précédé surveillait sans ciller les mouvements sur terre et sur mer. Du haut de sa forteresse, le vieux colonel régissait ses troupes, scrutait son territoire, toujours droit, toujours fort. Seule sa fille Lucile pouvait s’amuser à finasser avec les conventions. Mais le colonel ne dormait pas tant que la silhouette gracile n’avait pas franchi les portes de la forteresse. D’autant plus aux aguets qu’il y a le lieutenant Mario, ses yeux noirs, sa blancheur, sorte de Dracula déjà dans les murs.
Dans ce décor de conte de fées, où l’on attend la marâtre – le colonel est veuf –, le narrateur fait doucement basculer le récit dans une dimension métaphysique sur la vieillesse et la mort, servi par une narration quasi hypnotique, où l’action semble tourner en rond mais évolue subrepticement. De la forteresse, point d’ancrage du texte, le colonel assiste impuissant à la dérive de la frontière qui le sépare d’avec le nord. Sur les terres marécageuses, impossible d’édifier des ouvrages de défense. Les patrouilles qui se rendent dans ces endroits isolés ramènent d’étranges témoignages : de sombres cavaliers apparaissent et disparaissent dans la brume. Se rapprochent de la forteresse. Qui sont-ils, que veulent-ils, nul ne sait.
Tout en utilisant les codes du conte, la spirale tempétueuse du récit baigne dans une atmosphère étrange, et se resserre autour du colonel, fait plier sa carcasse de soldat aguerri. La phrase éminemment poétique de Jean Lods (né en 1938) sait peindre comme seul un pointilliste le ferait ce territoire de sable et de tourbe, le vacillement des bateaux, le martèlement des sabots. Le Dernier Colonel nous perd dans ses brouillards, et laisse sur la langue le goût de sel des aventures de Robert Louis Stevenson.
Virginie Mailles Viard
LE DERNIER COLONEL
DE JEAN LODS
Phébus, 200 pages, 17 €
Domaine français Le Dernier Colonel
avril 2016 | Le Matricule des Anges n°172
| par
Virginie Mailles Viard
Un livre
Le Matricule des Anges n°172
, avril 2016.