Il a 30 ans, a déjà publié quelques livres, est semble-t-il un citadin irréductible, se partageant entre Milan et New York. N’empêche, un hiver, « désemparé et abattu » comme chacun peut l’être, n’ayant plus le goût de lire ou d’écrire, il décide de s’exiler, le mot n’est pas trop fort. Prendre la route, pas celle des Kerouac & compagnie, mais celle à rebours, vers son enfance quand gamin innocent il jouait au cabri dans les montagnes. À 2000 mètres d’altitude dans le Val d’Aoste, Paolo Cognetti pose ses valises, ses livres et ses cahiers dans une cabane de pierre, une baita, et se met au défi d’y vivre seul, unique habitant d’un hameau déserté, vestige d’une vie révolue.
Lutter contre soi, apprivoiser la solitude, la peur, tous ces bruits inquiétants l’obscurité venue, affronter les saisons et le temps qui passe, métronome redoutable, jour, nuit, jour, nuit, se faire ermite mais cherchant tout de même un peu de compagnie, mettre ses pas dans ceux des bergers, apprendre à respecter ce qui reste de nature sauvage, plantes, animaux, s’abreuver à l’eau glaciale des sommets et se nourrir enfin de lectures, et, peut-être, peut-être, retrouver le fil de l’écriture : la gageure n’est pas mince.
À la fois récit d’un retour sur soi et découverte de la nature — cette quête d’une virginité qui s’efface inexorablement –, Le Garçon sauvage évite les écueils de l’intimisme forcené et du voyeurisme pleurnicheur. Servi par une langue limpide (et d’une traduction idoine), des phrases qui courent comme ruisseaux libres et vaillants, Le Garçon sauvage trompe son monde : nous pouvons le classer livre d’aventure, ce serait banal, l’identifier récit d’apprentissage le serait tout autant. Ici, nous préférons retenir une sorte d’amour partagé, une bibliothèque commune. Revisitées par le jeune milano-new-yorkais, nous fêtons ainsi nos retrouvailles avec de nombreuses pages, certaines écrites il y a bien longtemps, véritables cadeaux d’écrivains dont la notoriété va de pair avec leur humanité. La relecture de Paolo Cognetti devient alors élixir de jouvence.
Le nom de ceux qui l’accompagnent ? Le Français au doux patronyme, Élisée Reclus, géographe et libertaire, contraint à l’exil pour sa participation à la Commune de Paris, faisant de son Histoire d’un ruisseau la métaphore du monde ; l’Italien Mario Rigoni Stern, le sergent aux pieds nus, affrontant la neige et le chaos de la Seconde Guerre mondiale, poète invincible louant la nature et la paix (Hommes, bois et abeilles) ; l’Américain Henry David Thoreau, philosophe prônant la Désobéissance civile autant que les vertus de la solitude (Walden).
Au jeu de la vérité, du pari de se raconter soi, Paolo Cognetti est gagnant. Il n’est pas un super-héros, il avoue ses faiblesses, ses craintes, tout en nous faisant don de sa prose poétique.
Martine Laval
Le Garçon sauvage : Carnet de montagne
de Paolo Cognetti
Traduit de l’italien par Anita Rochedy, préface
de Vincent Raynaud, Zoé, 144 pages, 14 €
Domaine étranger En pente douce
juin 2016 | Le Matricule des Anges n°174
| par
Martine Laval
Un livre
En pente douce
Par
Martine Laval
Le Matricule des Anges n°174
, juin 2016.