Jack London, techniques de survie en milieu hostile
Il écrirait. Il serait les yeux qui font voir le monde, les oreilles qui le font entendre, le cœur qui donne l’émoi. » Oui, un jour, il se le jure, il sera écrivain. Il touchera du doigt la reconnaissance, la gloire. Il oubliera ce qu’il fut, un gosse mal aimé, abandonné sur le pavé, un miséreux parmi les crève-la-faim, une petite frappe des quais d’Oakland, travailleur précaire ou marin dur à la tâche. Il est tout en muscle, c’est un bagarreur, un solitaire. Il croit dur comme fer à l’ascension sociale, au rêve américain. Il sera monsieur Martin Eden l’écrivain.
Celui qui se cache à peine derrière son héros au romantisme crépusculaire est déjà une star de renommée mondiale. Quand, en 1907, alors qu’il fait voile à bord du Snark vers Hawaï et qu’il couche avec ce que l’on imagine une fièvre d’enfer Martin Eden son chef-d’œuvre absolu, Jack London a 31 ans. À 31 ans, il a déjà brûlé mille vies ! Il ne lui reste que quelques années à attendre pour trouver le repos éternel, à 40 ans. Il a vendu des journaux, pillé des parcs à huîtres, chassé le phoque dans les mers du Japon et de Sibérie, participé à la ruée vers l’or dans le Grand Nord, fait la route avec les hobos, vécu parmi les clochards dans les bas-fonds de Londres, s’est mué en reporter de guerre en Corée, au Mexique, a adhéré au Parti socialiste d’Oakland avant de le quitter avec fracas – pas assez révolutionnaire ! selon lui –, fait le militant, donné des conférences, tenu des meetings politiques, stocké lors de ses voyages des milliers de photos, construit un ranch, un bateau, fait des enfants… Il a 31 ans et a déjà écrit des tonnes de nouvelles, récits, essais, romans : L’Appel de la forêt, Croc-Blanc, Les Vagabonds du rail, Le Peuple de l’abîme, Construire un feu, Le Talon de fer… L’insatiable, en bon forçat du travail, s’autorise et brasse tous les genres littéraires. Il est indomptable. Rien ne lui échappe. Tout lui est dû. C’est sa revanche.
Martin Eden ou Jack London : des géants hors norme, des révoltés trop à l’étroit dans leurs vies, en lutte contre la fatalité que la société leur impose.
Qu’il mette sur le papier ses coups de gueule, ses aventures, se raconte ouvertement (John Barleycorn) ou à grand renfort de métaphores animalières (L’Appel de la forêt), utilise le pamphlet, le récit, la fiction (Grève générale) et même la science-fiction (Le Talon de fer) pour affirmer ce que la vie signifie pour lui, ce grand déchiré de London n’a de cesse de donner corps au ressenti, à l’émotion. L’émotion, cette chose tant décriée, jugée grossière, impure, par les tenants de la littérature officielle. London tout comme son Martin Eden puise dans le réel – source d’inspiration autant que revendication politique. Il lui donne forme, une écriture, l’impose. Il fait dire à son apprenti écrivain : « C’est la vie. C’est la réalité. La vérité. Et je dois décrire la vie telle que je la vois. » Il s’est donné une mission et basta si ses histoires sont tristes : elles...