La vie commune de Stéphane Bouquet
Voilà un livre incongru. Un objet littéraire non identifié que peu d’éditeurs auraient eu le courage de publier. On y entre par trois poèmes dont les vers s’étendent au plus loin que la page permet. Comme si les phrases, ici, tentaient de coudre une pensée, une émotion au reste du monde. Comme si le vers était un long point de suture d’une blessure provoquée par le fait de se frotter à ce qui nous entoure. On y trouve des images fulgurantes et cette douceur qui vient avec le sang, avant qu’il ne sèche. « Je déclare la solitude ouverte. C’est la vraie inauguration du / moindre / monde » dit l’ouverture du deuxième poème, « Élégie encore ». Le monde vient à nous par le biais d’une radio, de ce qui bruit loin d’ici, en Grèce notamment quand dans la rue nos contemporains se rassemblent. Et puis, sans transition, les vers laissent place à une pièce de théâtre qui joue aussi aux arts poétiques : autour d’une communauté de onze personnes dont on entend les voix, une à une, s’avancent des corps, des vies qui auront à prendre en compte l’arrivée des onze dans une maison inhabitée. Comment vivre ensemble ? La question se pose à l’intérieur du groupe comme à l’extérieur et le texte fait l’essai d’une vie commune qui viendrait naturellement, avec innocence. La pièce, comme l’écriture, tente d’avancer hors des sentiers battus, hors des préjugés, hors de ce que l’on croit savoir. Laboratoire d’une vie différente à laquelle le personnage de Kevin voudrait inviter l’homme rencontré lors d’une passe : « Quand on le touche, quand on le caresse, on dirait qu’on rebondit sur un trampoline, je veux dire : tellement il vous répond de tout son être. » Une autre cite le psaume 133 qu’elle entendait petite à l’église : « Qu’il est bon et qu’il est doux, voyez, d’habiter comme des frères ensemble. » Cela sonne comme une contre-note lumineuse à l’époque qui est la nôtre.
Le livre s’achève sur deux nouvelles aux tons très différents mais qui signent à nouveau une voix et un talent hors norme. Il serait temps qu’on les entende.
Vie commune
Champ Vallon, 145 pages, 14 €