Les classes moyennes ne font pas rêver. Il s’agirait même de les vomir une bonne fois pour toutes. C’était ce que proposait déjà Nathalie Quintane dans l’aussi bref que virulent texte « Le suicide des classes moyennes » dans le recueil d’essais Les Années 10 (2014). Mais on n’en finit pas d’en finir avec elles : « ectoplasmes rancuniers », « distributeur détraqué », « tsunami intersubjectif ayant emporté toute possibilité de retour sur soi-même et d’attention au monde extérieur depuis cinquante ans », les Français moyens, mais aussi ceux qu’Agamben appelait la petite bourgeoisie planétaire, prennent cher. Que faire des classes moyennes ? serait d’abord un bilan de santé, rappel des antécédents historiques, des manies sociologiques, symptomatologie à la Ernaux : déco, boulot, marmots, « si tu travailles à l’école, tu auras une bonne vie ». Une lettre en forme d’accusation ensuite – contre la médiocrité, la lâcheté, les bons sentiments et le ressentiment. Apostrophe à la Enard : on ne pourra pas dire qu’on ne savait pas.
Si l’on s’attendait à un programme révolutionnaire, le texte servira peut-être davantage d’in memoriam à destination d’extraterrestres tentant de comprendre plus tard toute l’anormalité d’une espèce disparue et obsédée par la norme. Si l’on s’attendait à un condensé didactique, on sera surpris par la rencontre d’une montgolfière et d’un morceau de sucre sur la table des statistiques, mais aussi par celle de Ballard et de Debord.
À quoi bon lire Quintane, alors ? D’abord parce qu’il n’y a qu’elle aujourd’hui pour mettre patates et politique dans le même panier. Parce que depuis Tomates (2010), elle traque le sujet de la nation : le peuple, la classe moyenne, les gens. Où (en) sommes-nous ? Parce qu’elle a l’art de retourner le stylo dans la plaie – de laisser le lecteur non pas repu, mais presque déçu.
L’humour (non pas le sarcasme) et la colère (non pas l’indignation) sont les deux ingrédients, rares, d’une écriture qui n’a rien d’inoffensif ni de consolant et est un excellent antidote au terrible esprit de sérieux qui mine notre époque. On a souvent l’impression en la lisant de tourner en rond : cela nous résoudra-t-il à sortir de nos propres ornières ? Nathalie Quintane appartient à ces quelques fauteurs de troubles qui n’apportent pas leur petite pierre à l’édifice mais qui défont les représentations, s’y abreuvent, malaxent les discours, nous malmènent. Elle est de ceux qui ne cherchent pas à renouveler, mais à liquider. À défaut de rendre le monde meilleur, le rendre. Chloé Brendlé
Que faire des classes moyennes ?,
de Nathalie Quintane, P.O.L, 105 p., 9 €
Domaine français Y’a d’la joie !
janvier 2017 | Le Matricule des Anges n°179
| par
Chloé Brendlé
Toute de colère froide, Nathalie Quintane continue son décapage des discours sur la classe moyenne et montre comment la révolte ne vient pas.
Un livre
Y’a d’la joie !
Par
Chloé Brendlé
Le Matricule des Anges n°179
, janvier 2017.