Jaume Cabré, vos livres explorent notamment la corruption et l’abus de pouvoir dans la Catalogne de la fin du XVIIIe siècle, la dictature de Franco, la Shoah… Pourquoi une telle attirance pour ces périodes sombres de l’Histoire ?
Je ne suis pas certain de la réponse que je dois donner. Je ne me demande pas « sur quels sujets je dois écrire », j’écris sur ce qui me vient à l’esprit. Je ne suis pas un écrivain qui fait le plan d’un roman et qui ensuite l’écrit mais qui se met à écrire et laisse les choses sortir. Et un des sujets que je reconnais porter en moi est cette question à laquelle personne ne sait répondre : pourquoi le mal existe ? Pourquoi y a-t-il des gens capables de haïr, d’imposer par la force, de mépriser d’autres personnes ? Je ne peux pas aller plus loin dans ma réponse. Adrià, le protagoniste de Confiteor, tente de rédiger un essai sur le mal. Et comme il n’y parvient pas, il abandonne sa tentative et se met à raconter, comme l’a fait Umberto Eco quand il a abandonné les essais et est passé à la littérature. La tradition vient de loin : Jésus de Nazareth, pour qu’on l’entende, créait des paraboles, des histoires avec des personnages ; et les gens comprenaient le message. Je ne suis ni Jésus de Nazareth ni Umberto Eco mais j’ai quelque chose d’Adrià…
Dans la nouvelle « Ballade » (Voyage d’hiver), un soldat idiot tue sa propre mère sans le savoir, et dans « Je me souviens » un garçon de 9 ans est contraint de tuer toute sa famille sous les yeux des SS… Dans Les Voix du Pamano, le maire phalangiste de Torena exécute un enfant et dans Confiteor le docteur Voigt réalise des expériences inhumaines sur des enfants juifs… La cruauté est donc partout ?
Et que voulez-vous que j’y fasse ! Tout ce que j’écris, malheureusement, est arrivé dans un lieu ou dans un autre, à une époque ou à une autre. La cruauté envers les enfants est une des horreurs les plus inexplicables et qui apparaissent dans les guerres. J’écris pour pouvoir me demander pourquoi la cruauté existe. Je continue sans le comprendre. Et je continue à écrire…
On meurt quand même facilement dans vos livres.
Il est très dangereux d’être un de mes personnages. Mais aussi on aime, on rit, on hésite, on est triste ou content. Comme dans la vie elle-même… Mon intention est de ne pas laisser le lecteur indifférent. Qu’il s’engage avec mes personnages et avec mes histoires. Je dois avouer que toute mon écriture est une vaste et profonde hésitation à propos de la vie, de l’égoïsme, la générosité, la lâcheté, l’héroïsme… Rien de nouveau !
Le rire, lui aussi, a toujours quelque chose de féroce (on rit de l’immense bêtise humaine)…
Peut-être. Mais il y a, j’espère, une bonne dose d’ironie.
Il y a « les grands sanguinaires » (« Staline, Hitler, Franco ou Pinochet »), mais il y a aussi tous les autres, et jusqu’au couple (peu de relations amoureuses heureuses), chacun faisant le mal à son échelle… Chaque être...
Dossier
Jaume Cabré
« Le vainqueur écrit toujours l’histoire »
mars 2017 | Le Matricule des Anges n°181
| par
Didier Garcia
Loin des écoles littéraires et des déclarations péremptoires, Jaume Cabré jette un regard lucide et désenchanté sur le monde, comme pour mieux en saisir l’essence.
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