Les éditions Non Standard poursuivent avec bonheur leur travail de création avec ce très beau livre qui mêle littérature et arts graphiques. Trois histoires, ni tout à fait les mêmes ni tout à fait différentes, racontent le cheminement d’un homme, Vincent Léger, confronté aux rudesses de l’existence. Trois styles, qui s’adressent à trois publics, de l’enfant à l’adulte, rejouent sur le papier la progression intérieure du héros, amené à s’émanciper. Sous de faux airs simplistes, la première mouture montre un homme qui vit seul, « presque vieux », ému par l’irruption dans son jardin d’un pigeon fatigué. Le volatile, baptisé Charlot, occupe les pensées du solitaire, qui y voit comme son double. L’irruption de deux tourterelles voraces plonge le propriétaire dans une rage meurtrière. Une tension qui va crescendo, avant la résolution finale bienheureuse, signe cette approche inaugurale visuellement très riche. Des mots transformés en image prennent place dans le corps même du texte. Des illustrations douces et colorées de la ville du Havre apportent un sens nouveau où se déploie l’imaginaire. L’intrigue gagne ensuite en ampleur dans un épisode magnifié par la recherche typographique. Les grands thèmes s’étoffent. La tyrannie, l’avenir de l’humanité, le sort des riches et des pauvres surgissent des péripéties de l’amateur d’oiseaux. La psychologie du personnage émerge : « Il était comme beaucoup de monde et se disait qu’une douleur était comme un bonheur, souvent passagère ». En bas de page, des définitions malicieuses illustrent les concepts importants, comme « dictateur » ou « despote ». L’insertion d’un poème de Baudelaire, Le Gâteau, déjoue toutes les constructions attendues. Enfin, c’est dans le dernier récit, entre l’essai et le roman, que se déploie une vision globale de l’humanité. Sous les bons auspices de Romain Rolland et Stefan Zweig, Toujours la même histoire résonne comme un avertissement adressé à toutes les générations sur le tragique destin de l’Homme insouciant, trop souvent intolérant et dominé par des pulsions destructrices. Franck Mannoni
Toujours la même histoire
de Jean Segui et Élodie Boyer
Illustrations de Josephin Ritschel, éditions Non Standard, 266 pages, 28 €
Arts et lettres Toujours la même Histoire
mai 2017 | Le Matricule des Anges n°183
| par
Franck Mannoni
Un livre
Par
Franck Mannoni
Le Matricule des Anges n°183
, mai 2017.