À l’heure où Erdogan affronte de nouveau, par les armes, son ennemi historique, le PKK, il est urgent d’écouter des voix authentiques qui se font entendre de là-bas, du Kurdistan encore déchiré. Sans doute beaucoup l’ont-ils oublié : à partir de l’été 2015, et pendant plusieurs mois, l’armée turque assiégea, bombarda, détruisit des villes kurdes de l’est du pays, en rébellion. À Diyarbakir, principale ville kurde, le quartier de Sur, en particulier, qui semblait pourtant à l’abri derrière ses murailles millénaires et classées par l’Unesco, subit la terreur et la destruction. Oya Baydar, dont on peut lire de beaux romans chez le même éditeur, imagine ici un dialogue entre la Turque qu’elle demeure, malgré qu’elle en ait, et une femme kurde de Sur, sous les remparts et sous les bombes. Ce dialogue, à la fois émouvant et subtil, pose des questions essentielles – et taraudantes. Oya Baydar s’interroge ainsi sur son engagement passé à l’extrême gauche, et les illusions auxquelles elle céda alors, nobles mais mensongères : le désir de « jouer les sauveurs » sans pour autant prendre en considération ceux que l’on veut sauver. Elle exprime, face à cette femme qui elle est prisonnière de sa ville, la honte qu’elle ressent de pouvoir être ainsi comme en visite, de passage, même si c’est par solidarité. Ne serait-elle là que pour « purifier (sa) conscience, payer le prix du péché des autres » ? Elle ne cesse de revenir sur la tragédie que constitue la nécessité, face à la violence de l’armée turque, de se servir des mêmes armes, de choisir la mort, de sacrifier la jeunesse martyre de ce peuple qui jamais ne put faire de son pays une nation. Elle s’inquiète surtout d’un avenir dans lequel la paix serait à tout jamais impossible : lorsqu’elle demande : « Comment faire un, si même la mort a un sens différent ? », son interlocutrice répond : « Nous ne ferons pas un ». Nul doute que cette prédiction résonne sinistrement, du Kurdistan à la Palestine, de la Syrie au Yémen.
Thierry Cecille
Dialogue sous les remparts d’Oya Baydar
Traduit du turc par Valérie Gay-Aksoy,
Phébus, 160 pages, 15 €
Domaine étranger Dialogue sous les remparts d’Oya Baydar
février 2018 | Le Matricule des Anges n°190
| par
Thierry Cecille
Un livre
Dialogue sous les remparts d’Oya Baydar
Par
Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°190
, février 2018.