Tuer. Être tuée. Cela lui semble « juste et normal ». Elle est en Irak pour ça. En cette année 2003, Cassandra, la gosse du Missouri, n’a pas 20 ans. Personne n’utilise son prénom. Elle est le soldat de première classe Wigheard. Yes, sir.
Dès les premières pages de ce roman au rythme époustouflant, il y a le bruit et l’odeur. Ici, les roquettes « hurlent », les cris, eux, s’évaporent. Ici, ça pue la boue, le sang, la sueur – la peur aussi. À croire que l’écriture de l’Américain Brian Van Reet n’est qu’un corps-à-corps, une bagarre avec cette « guerre illégale », sa mise à mort, aussi. Le sergent Brian Van Reet est un vétéran. Après le 11-Septembre, il a quitté l’université pour s’engager – comme Cassandra, la femme soldat. On imagine qu’il raconte ce qu’il a connu. Mais il y a bien plus… terrifiant. Il le fait en romancier.
La fiction est une arme de combat. Elle extermine les faux-semblants, fait valdinguer les barrières entre le bien et le mal. Exit la neutralité, les bons sentiments et autres pensées tiédasses. Le Fer et le Feu, c’est du live dans la fournaise de l’enfer, c’est surtout – incandescente – une narration au cœur des ténèbres, ou de la politique. Qui est ennemi ? Qui est victime ? Avec une aisance folle, le jeune écrivain imbrique des genres narratifs, du lyrique au brutal, du « je » au « elle », se permet des flashbacks saisissants, narre au présent des scènes hallucinantes, et donne chair à trois personnages, trois façons d’appréhender la vie.
Il y a le soldat de première classe. Une femme. Déterminée. Qui doit se battre contre l’ennemi intérieur, ces « connards de mecs », des fauves en puissance, supérieurs ou troufions, leur misogynie, leurs violences, leurs grossièretés ; et l’ennemi extérieur, là, tapi dans la touffeur de l’ombre… Masque, combinaison anti-attaque chimique, gilet pare-balles en kevlar, en tout 25 kg qu’elle est fière de porter. Comme les autres, elle avale des gélules pour maigrir : ça tient éveillé. C’est elle qui, dans la tourelle, manie « la 50 », sa mitrailleuse, elle la bichonne. Vivre intensément, sous adrénaline, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Prouver qu’elle est cap. C’est sa revanche.
Il y a Sleed. Il s’est engagé pour échapper à l’ennui, à la drogue. Il déteste l’armée. Trop tard. Il a été formé à tuer mais est incapable d’appuyer sur la détente. Trop réaliste ou trop mauviette ? Il est dans le pétrin et va aggraver son cas.
Et puis, il y a Abou Al-Houl, un moudjahid – ou un sage, une sorte de poète. Il a consacré sa vie à Allah. Il a été de tous les fronts, Tchétchénie, Koweit, Afghanistan… Désormais, il s’inquiète de la tournure des événements, du bien-fondé du djihad, des nouvelles recrues gavées de haine. De renoncements en compromis, il avoue ses contradictions, et c’est poignant.
Entouré de ses personnages tiraillés sinon ambigus, Brian Van Reet signe un grand livre sur la guerre. Mais pas que. Il sublime les paradoxes et réinvente une sorte d’humanité. Martine Laval
Le Fer et le Feu, de Brian Van Reet, traduit de l’américain par Michel Lederer, L’Olivier, 298 pages, 22 €
Zoom L’art de la guerre
mars 2018 | Le Matricule des Anges n°191
| par
Martine Laval
L’Américain Brian Van Reet, vétéran en Irak, pulvérise toutes les certitudes sur ce conflit et sur la vie. Un premier roman déflagration.
Un livre
L’art de la guerre
Par
Martine Laval
Le Matricule des Anges n°191
, mars 2018.